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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/796

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général : « Est-ce là, seigneur comte, lui dit-il, l’étiquette habituelle quand vous recevez à bord de vos galères des personnes de marque ? Je serais bien aise de le savoir, car je n’ai pas l’intention de me prêter à semblable cérémonie, et, par Dieu, si quelqu’un des vôtres s’avisait de porter la main sur moi, il aurait bientôt rendu l’âme ; je lui plongerais mon épée dans le ventre jusqu’à la garde. »

Le vaillant chevalier de la Manche ne prenait peut-être pas là un trop mauvais moyen de mettre un terme aux gaîtés du bagne. Aimez-vous « les faiseurs déniches ? » Je n’éprouve, pour ma part, qu’un très médiocre goût pour ces gens d’esprit. Qu’ils mériteraient bien la plupart du temps, ces mystificateurs, quand ils vont, suivant l’expression du proverbe espagnol, chercher de la laine, de revenir tondus ! Berner Sancho Pança, railler le naïf enthousiasme d’un fou dont l’occasion aurait fait un héros, je ne sauvais appeler cela plaisir de chevalier. Si j’avais reçu un tel couple à bord du Magenta, en l’année 1870, j’aurais certainement reconnu de toute autre façon l’honneur de sa visite. En pareil cas, il n’y a qu’une politesse qui convienne : il faut, pour peu que les circonstances s’y prêtent, offrir à ses hôtes le glorieux spectacle d’un branlebas de combat. Si complet, si sagement entendu que puisse être l’armement d’un navire, il y eut de tout temps bien des dispositions de détail à prendre, avant d’en venir aux mains avec l’ennemi. Mettre les armes en couverte répondait sur les galères du XVe et du XVIe siècle à notre branle-bas de combat : l’opération était cependant plus longue et plus compliquée. On commençait par établir sur la couverte, à l’aide de rames liées ensemble et fixées par des amarrages aux filarets, trois retranchemens intérieurs, qu’on appelait bastions sur les galères de France. Le pont se trouvait donc coupé en trois endroits par des traverses qui servaient de supports à de véritables barricades. Là s’entassaient, entre deux murs de toile, des tronçons de vieux câbles, des balles de laine, les grosses tentes d’herbage, les matelas et les capots de la chiourme. Le premier retranchement prenait naissance un peu en arrière des rambades, le second à la hauteur de l’arbre de mestre, le troisième en avant de la dunette désignée à bord des galères sous le nom de poupe et de tabernacle. La plate-forme des rambades et les pavois de chaque bord étaient garnis de la même façon, formant ainsi à proue, et sur les deux côtés, un rempart qu’on s’efforçait de rendre impénétrable aux arquebusades et à la mitraille. Deux autres postes servaient également à disputer le terrain pied à pied : c’était, à tribord, le fougon, c’est-à-dire la caisse carrée qui servait de cuisine ; à bâbord le caïcq, — en d’autres termes la chaloupe. — On y plaçait les plus vigoureux soldats, sous le commandement des officiers les plus résolus. En effet, ce défilé franchi, ce boulevard enlevé, la poupe