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seize comtés. La majorité demeure acquise en faveur de l’acte d’union, mais une autre majorité va se prononcer pour le gouvernement responsable.

En effet, la question se trouva posée dès la discussion de l’adresse. Le premier ministre, M. Draper, essaie de l’éluder, donne à entendre qu’il relève du gouverneur et non du peuple, mais les réformistes insistent, réclament une réponse catégorique. Le cabinet démissionnera-t-il ou aura-t-il recours à la dissolution de la chambre s’il ne possède pas sa confiance ? Poussés dans leurs derniers retranchemens, menacés de perdre l’appui des réformistes, les ministres cèdent et, pour mieux affirmer ce grand succès, MM. Baldwin et Viger font voter plusieurs résolutions qui fixent la nouvelle doctrine, mettent le pouvoir dans la chambre élective en obligeant le gouverneur à choisir ses conseillers parmi les hommes investis de la confiance des électeurs. Les auteurs ou partisans de l’union se trouvaient pris à leur propre piège : ils avaient semé des cailloux, de l’ivraie, ils voyaient surgir de terre une opulente récolte.

D’autres surprises plus pénibles leur sont réservées : battu en 1841 à Terrebone, mais élu en 1842 par les réformistes du Haut-Canada, qui désirent témoigner leur sympathie aux Canadiens français, M. La Fontaine, à peine entré à la chambre, prononce en français son premier discours ! Invité par un des ministres à s’exprimer en anglais, il s’en excuse avec fierté : « Quand même la connaissance de la langue anglaise me serait aussi familière que celle de la langue française, je n’en ferais pas moins mon premier discours dans la langue de mes compatriotes, ne fût-ce que pour protester solennellement contre cette cruelle injustice de l’acte d’union, qui tend à proscrire la langue maternelle d’une partie de la population du Canada. Je le dois à mes compatriotes, je le dois à moi-même. » Fixant ensuite les conditions auxquelles les Canadiens subordonnaient leur réconciliation, il ajoute : « Oui, sans notre coopération active, sans notre participation au pouvoir, le gouvernement ne peut fonctionner de manière à rétablir la paix et la confiance, qui sont essentiellement nécessaires au succès de toute administration… L’absence de tout nom français dans le ministère n’est-elle pas une circonstance qui comporte une injustice, même une insulte préméditée ? Mais, dira-t-on, vous ne voulez pas accepter d’emploi ! Ce n’est pas là une raison ; mes amis et moi, il est vrai, nous ne voulons pas en accepter sans des garanties… » Certaines revendications, pour être reconnues légitimes, n’ont pas besoin d’être couchées par écrit dans une constitution : aussi bien qu’on texte formel, le discours de M. La Fontaine restituait à la langue française son droit de cité. Du reste, un nouveau gouverneur, très modéré, venait de succéder à lord