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d’ordre, d’union, de bonne humeur et de persévérance. Si les Canadiens se dirigent de préférence vers les professions libérales, c’est que l’argent, le nerf de l’industrie, leur manque, tandis que les hommes et les capitaux anglais ne cessent d’affluer dans la colonie. En attendant, ils se multiplient, ils s’échelonnent sur toute la longueur du Dominion, entre l’Atlantique et le Pacifique : à l’avant-garde, à l’entrée du Saint-Laurent, l’île du Prince-Edouard, avec ses onze mille Acadiens, les descendans de cette race poétique dont Longfellow a chanté les malheurs ; puis la Nouvelle-Ecosse avec ses 41,000, le Nouveau-Brunswick avec ses 57,000 Français et Acadiens ; au centre, la province de Québec n’en a guère moins de 1,000,000, Ontario en compte 103,000 ; le Manitoba et la Colombie 14,000. Au mois de juin dernier, pendant la fête nationale de Saint-Jean-Baptiste, patron des Canadiens, de nombreux orateurs ont cité ces chiffres avec orgueil et rappelé que, sur 211 députés dont se compose le parlement fédéral, on compte 55 députés français de la province de Québec qui jouent un rôle prépondérant, puisqu’ils peuvent faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre et marchent la main dans la main toutes les fois que la question nationale ou religieuse est en jeu. Au parlement fédéral, dit un écrivain, rien ne se fait sans nous ; à Québec, au parlement provincial, rien ne se fait que par nous. À ce groupe compact il convient d’ajouter quelques députés français qui viennent d’Ontario et du Nouveau-Brunswick : dans les circonscriptions où ils ne sont pas encore assez nombreux, ils se concertent et ne donnent leurs voix qu’à bon escient. L’un d’eux est ministre au Nouveau-Brunswick, l’autre député à la chambre d’Ontario, où il a prononcé un discours en français pour affirmer son droit.

En dehors de ces 1,300,000 Canadiens français, on en trouve aux États-Unis près de 500,000, par groupes de 5,000, de 10,000 et même de 15,000, qui, eux aussi, se comptent, fondent des journaux, des écoles, des sociétés de Saint-Jean-Baptiste et sont comme autant de petites Frances qui n’oublient pas la grande : quatre d’entre eux viennent d’entrer à la chambre des députés de l’état du Maine. Certes, il y aurait exagération à affirmer que l’accord le plus sympathique règne entre les diverses nationalités du Dominion, que les Anglais voient sans dépit les Français d’Amérique surgir de dessous terre et pulluler partout ; et de même, parmi ceux-ci, on trouverait plus d’un chauvin qui caresse l’espoir de fonder un état absolument autonome lorsque sonnera l’heure de la séparation d’avec l’Angleterre ; mais, au fond, l’immense majorité se contente de rester attachée à ses souvenirs, de partager les mêmes espérances dans l’avenir de la patrie commune : à défaut d’un mariage d’inclination,