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À ce sujet, je ne puis oublier de rappeler ici quels services l’utilisation des forces hydrauliques a déjà rendus dans l’œuvre de jonction des chemins de fer internationaux. Si nous nous reportons à trente ans en arrière, quelles objections dédaigneuses, quels reproches d’utopie nos commissions officiellement compétentes n’auraient-elles pas adressés à celui qui serait venu leur proposer d’employer l’action mécanique des grandes chutes d’eau de nos torrens de montagnes, non pas à faciliter l’écroulement des berges affouillables de quelques collines argileuses, mais à attaquer les roches les plus dures, à creuser à travers les couches profondes du granit des Alpes de longs couloirs de 10 à 15 kilomètres, à forer ces gigantesques tunnels hélicoïdaux qui, sur les rampes du Saint-Gothard, remplacent par des courbes souterraines les anciens lacets de nos routes de terre !

Tout cela s’est cependant graduellement exécuté, se poursuit tous les jours sur une échelle de plus en plus grande, et, bien plus encore, si l’on peut espérer voir prochainement s’ouvrir le canal de Panama, ce ne sera qu’à la condition d’y faire travailler les eaux du Chagres, d’utiliser à la fouille, et peut-être au transport des déblais, la puissance mécanique de 10 à 12,000 chevaux au plus que ce petit affluent des Cordillères peut permettre d’aménager sur les chantiers.

Et quand l’adaptation des forces naturelles réalise de tels prodiges dans des contrées lointaines et désertes, dénuées de populations et de ressources de toute espèce, on me conteste la possibilité d’utiliser une puissance mécanique dix fois plus considérable, une force disponible de 100,000 chevaux, non plus à émietter, à forer péniblement des roches dures et compactes, mais à affouiller et entraîner des terres meubles prêtes à s’ébouler par leur propre poids, à s’écouler par leur seule pente ! On hésite ou plutôt on se refuse depuis vingt ans à consacrer une trentaine de millions à une entreprise certaine, nettement définie dans son but et dans ses moyens, qui n’a pas en vue d’abréger de quelques jours ou de quelques heures une traversée maritime ou un voyage en chemin de fer, de réduire de quelques francs le prix de transport d’une tonne de marchandises, mais qui aura pour résultat d’accroître de plus d’un dixième la valeur de notre sol arable, de créer au cœur de notre territoire une province riche et fertile, capable de nourrir à elle seule un surcroît de population de plusieurs millions d’hommes !

Si les moteurs hydrauliques ont déjà rendu ou sont susceptibles de rendre de tels services, employés sur place, à de simples travaux de terrassemens, quels résultats plus considérables ne peut-on pas espérer d’en retirer, quand, par la construction de grands