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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/944

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surprend et le chasse. La colère du mari terrifie la jeune femme à ce point qu’elle balbutie à peine son innocence. Much ado about nothing ! .. Germain et Laurence, jusqu’au dénoûment, vivront sous le même toit, mais séparés.

Telle quelle, cette action, dans le livre, emprunte une valeur particulière du caractère de Xavier : formé dans une maison religieuse, achevé dans une parlotte d’avocats, discipliné, ambitieux, c’est un Henri Mauperin, petit-neveu de Tartufe. A la scène, ces nuances s’effacent : les événemens, bien qu’ordonnés avec art, paraissent, dans ce deuxième acte, un peu vulgaires et hâtifs. D’ailleurs, soit pour rendre l’héroïne plus innocente et plus agréable au public, soit pour rendre la pièce plus conforme aux coutumes de la mécanique théâtrale, M. Lion a glissé dans l’ouvrage un nouveau ressort qui n’est pas neuf ; et, le pis, une fois ce ressort introduit, c’est qu’on s’étonne de ne pas le voir se détendre immédiatement. Laurence, qui soupçonnait l’entreprise de Xavier, a chargé sa mère de l’en détourner ; la mère elle-même en a chargé Nivard, qui n’a pas fait la commission. Pourquoi Laurence, accusée par Germain, n’invoque-t-elle pas aussitôt le témoignage de sa mère ? Comment ce témoignage est-il retardé jusqu’à la fin du dernier acte, qui ne vient que trois mois après le second ? Si cette faute me parait malheureuse, ce n’est pas seulement parce qu’elle va contre la vraisemblance, mais surtout parce qu’elle est contre le genre de l’ouvrage. Voilà une machine de mélodrame dans une comédie de mœurs domestiques. Et n’est-ce pas le tableau de ces mœurs qui nous plaisait, modérément animé par un drame tout spirituel ? S’il y avait quelque doute là-dessus, il se dissiperait au troisième acte ; alors que notre espérance de drame est bornée, alors que nous n’attendons plus qu’un dénoûment nécessaire et déjà mûr, c’est encore par des détails d’intérieur ingénieusement composés que l’auteur amuse notre patience. Nous prenons plaisir à voir Laurence, corrigée par cette dure leçon, tenir le ménage du bonhomme Hyacinthe sous les yeux émerveillés de Catherinette : si nous pardonnons à Germain de bouder à la cantonade et de faire languir cette fin, c’est que la vue de ce petit groupe nous charme. Deux acteurs s’y trouvent à point, qui excellent à reproduire des types de la bourgeoisie : M. Cornaglia et Mme Crosnier. Ah ! les bonnes gens pour encadrer le couple tumultueux de M. Chelles et de Mlle Baréty (Sans doute ils maintiendront, après que tout s’est éclairci, le bonheur des deux époux : ils ont commencé, avec la grâce de l’auteur, par faire l’agrément du public.

A chacun ses verres, ou plutôt son prisme, ou plutôt encore l’œil d’un artiste est construit et exercé de telle sorte qu’il n’aperçoit qu’une partie de la réalité. C’est ce discernement, ce choix nécessaire dans la nature visible et cet aveuglement sur tout le reste, qui font le privilège de l’artiste : à vrai dire, il ne voit pas, — c’est bon pour nous autres de