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conséquences inévitables de la concurrence commerciale et politique, à consentir à la perte de privilèges qu’ils ne peuvent plus conserver. Les lois économiques tendent à égaliser partout la richesse, à faire passer sur tous les marchés le même niveau, à abaisser ceux qui sont élevés pour élever ceux qui sont abaissés : Deposuit pptentes de sede et exaltavit humiles. N’est-il pas remarquable que les lois de la guerre aient la même tendance, et que la force, comme les intérêts, se répartisse de moins en moins inégalement entre les peuples ?

On nous répondra sans doute que, si l’exemple de l’Angleterre démontre d’une manière décisive l’inutilité de la guerre d’escadre et son remplacement forcé par la guerre de course contre une nation uniquement maritime, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’attaquer une nation continentale pour laquelle la marine n’est pas tout. Contre une nation pareille la guerre d’escadre peut être très efficace, dira-t-on ; car dès qu’on aura écrasé ses forces navales, et qu’on sera sûr de ne plus éprouver de ce côté une résistance sérieuse, on sera maître de jeter sur le territoire ennemi une armée de débarquement qui lui causera de sanglans dommages. C’était, en effet, jadis, comme nous l’avons dit, une des conséquences des victoires d’escadre. Mais, là aussi, les temps sont changés. Les armées ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient autrefois. Ce qu’on pourrait débarquer de troupes sur les côtes d’un adversaire ne déciderait certainement pas de l’issue d’une guerre. Et l’opération serait bien chanceuse. « Une armée expéditionnaire, a dit l’amiral Aube, ne peut franchir l’océan que sur des navires spéciaux qu’on appelle des transports et aux conditions suivantes : 1,000 hommes par navire, en moyenne 500 chevaux par navire, ce qui, pour une armée de 30,000 hommes et 3,000 chevaux, exige 36 navires. Ces navires ne peuvent naviguer à moins de 1 câble de distance l’un, de l’autre, et, tout au plus, sur deux lignes de file, ce qui donne à la longueur de cette double ligne 3, 600 mètres, chaque navire, beaupré compris, ayant une moyenne de 100 mètres. Pour être compacte, et en réglant sa vitesse sur le plus mauvais marcheur, cette vitesse ne pourrait excéder 8 milles ; toute traversée exigerait donc, de la Manche aux rivages ennemis, au moins quarante-huit heures de navigation. Ceci posé, quel est celui de nos amiraux qui oserait se charger d’empêcher un navire à éperon, filant 13 nœuds au moins, de faire une trouée dans l’escadre de transports ? Quel est celui de nos capitaines qui n’accepterait avec joie, sans croire faire acte de dévoûment et d’habileté supérieure, de faire cette trouée, la nuit surtout, et ne répondrait de couler, avant d’être atteint lui-même, un nombre considérable de