Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

C’est à dessein que nous n’avons pas parlé jusqu’ici de la torpille, voulant montrer que la vapeur seule suffisait à amener une révolution maritime, et que ceux qui combattaient, depuis bien des années, les escadres, qui préconisaient la course, qui demandaient l’abandon des cuirassés et la construction de croiseurs rapides avaient non seulement une vue prophétique de l’avenir, mais encore une intelligence très nette, très juste et très féconde du présent. Il faut reconnaître cependant que l’avènement de la torpille, que les perfectionnemens qui l’ont rendue automobile, que la création de bateaux torpilleurs autonomes, sont venus apporter à leurs idées une consécration tellement éclatante qu’elles en sont en quelque sorte rajeunies et renouvelées. En présence de l’impossibilité de trouver des règles de tactique sûres pour la bataille d’escadre, ils soutenaient qu’il fallait appliquer à l’offensive navale le principe de l’enveloppement et des mouvemens tournans, dont l’usage sur terre a valu de si grands succès aux armées qui ont su l’adopter et le mettre en pratique ; qu’aux combats singuliers entre cuirassés, conséquence fatale de la guerre d’escadre, où la supériorité appartenait aux types les plus perfectionnés, devait succéder l’emploi du nombre, des masses, s’acharnant contre le même adversaire, le harcelant de différens côtés à la fois, l’attaquant sous différens angles ; que le plus beau des navires géans, muni à la fois de canons, d’éperon et de torpilles, ne résisterait pas à une nuée de petites canonnières, d’affûts flottans et de torpilleurs, évoluant plus vite que lui, le pressant de toutes parts, le frappant de coups réitérés et profitant de leur vitesse pour échapper à ses coups ; qu’en un mot, sur mer comme sur le continent, le progrès des armes devait amener leur division, leur « spécialisation, » et le triomphe de l’ordre dispersé sur l’ordre compact. On leur répondait en disant qu’il était impossible de créer ces engins agiles et minuscules sur lesquels ils fondaient leurs espérances ; qu’il fallait nécessairement, pour porter les canons, des navires d’un fort tonnage, et que, quant à la torpille, c’était une arme peu sûre, dont on n’était point maître, à laquelle on n’avait point encore trouvé, à laquelle on ne trouverait probablement jamais un navire approprié. L’apparition foudroyante des torpilleurs autonomes a fait tomber d’un seul coup toutes ces objections. Du moment que ces petits navires, qu’on croyait incapables de naviguer, ont montré des qualités nautiques de premier ordre, du moment que la terrifiante puissance de leurs moyens destructifs a été mise en pleine lumière,