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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/193

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précisément onze mille, et que toutes, probablement, n’étaient pas vierges. Çà et là aussi ils laissent échapper des signes de doute, et on voit bien au fond que leur siège n’est pas fait. Je crois cependant qu’on trouvera généralement qu’ils penchent du côté des crédules, qu’ils condamnent en théorie. Qu’on dise, si l’on veut, qu’il n’y a pas de tradition populaire, si puérile qu’elle paraisse, qui ne repose sur quelque base réelle, que la légende d’Ursule se rattache à quelque épisode de l’histoire d’Attila, cela n’est pas défendu. Au temps où Attila et ses hordes se répandirent dans l’Occident, le meurtre et l’incendie les accompagnaient. Mayence, Trêves, Cologne, d’autres villes florissantes furent pillées et rasées. En face de cette inondation asiatique qui menaçait la civilisation et le christianisme qui la représentait, l’église, en plusieurs lieux, dans la personne de ses évêques, à Troyes, à Orléans, plus tard à Rome avec saint Léon, fit œuvre de défense patriotique. Attila, cependant, n’en voulait pas particulièrement à l’église. On ne voit pas qu’il ait fait exécuter ni saint Aignan, ni saint Loup. Y eut-il alors un épisode où un personnage du nom d’Ursule, homme ou femme, avec plusieurs compagnons, ait joué le premier rôle, de manière à frapper les contemporains et à laisser une trace vivante dans les traditions populaires ? Cela est possible, mais nous ne savons rien de certain sur cet épisode. La clé de l’histoire est peut-être dans les « onze mille, » dont les bollandistes font si bon marché. Quelques-uns ont cherché dans ces mots undecim mil un nom propre défiguré. Ne s’agirait-il pas plutôt de onze soldats, compagnons du personnage principal, et immolés avec lui ? Toute hypothèse est plus acceptable que l’histoire qu’on raconte ici de cette jeune fille venue de la Grande-Bretagne en Germanie, qui, sur le bruit d’une invasion, s’est rendue, avec des milliers de compagnes, à Rome, pour prier aux tombeaux des Saints-Apôtres et demander au ciel de détourner les barbares, puis est revenue à Cologne au moment même où les hordes d’Asie y roulaient comme un tourbillon, et y est morte, elle et ses amies, pour préserver leur foi et leur chasteté. On risque peu à nier purement et simplement ce qui est ridicule. L’imagination des masses veut et met partout de l’énorme, de l’extraordinaire et du merveilleux. La critique n’en souffre nulle part. Les auteurs des légendes qui portent l’âme des foules et parlent pour elle, ont horreur de ce qui est simple, uni, semblable à la nature. Or, cela seul est matière d’histoire. Ajoutons que la nature et la vérité sont souvent impossibles à retrouver sous les étranges déformations que la fantaisie et le goût du grandiose leur font subir.

De même, je trouve une critique bien armée, mais qui n’a pas le courage de conclure, dans l’histoire de deux martyrs attribués au