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de religieux qui ont taxé d’audace et de témérité sacrilège l’œuvre des bollandistes. Un homme qui, par la variété de son érudition et la pureté de son caractère, était en ce temps l’honneur de la compagnie de Jésus et de l’institut Bollandien, Daniel Papebrock, l’ami de Luc d’Achery, de Mabillon et de tout ce qu’il y avait alors dans l’église d’esprits ouverts et éclairés, après avoir pendant près de cinquante ans contribué à élever les secondes assises du monument des Actes, et travaillé pour la plus grande part à la publication de quatorze volumes, vit des bas-fonds de l’église l’ignorance, la jalousie, un zèle aveugle se dresser contre lui, mettre en question et vouer à l’anathème l’œuvre de toute sa vie.

Ce fut d’abord une lancée d’aigres brochures autour de Papebrock. Le savant bollandiste ne leur opposa que le silence du dédain. Puis, au commencement de l’année 1693, les haines ecclésiastiques, se condensèrent en un épais petit in-4o de 650 pages, avec un titre criard[1], l’appui de seize approbations de religieux et de théologiens variés, un double appel aux sévérités d’Innocent XII, en forme de préface et de conclusion, un index ou résumé des passages incriminés, cinq préambules, et le corps de l’œuvre en vingt-quatre articles ou chefs d’accusation développés chacun en quantité de propositions dites subversives de la foi, de la discipline et des saintes traditions, le tout offert au pape et signé du nom de Sébastien de Saint-Paul, provincial de la province de Flandre et Belgique, de l’ordre des frères de la Vierge-Marie du mont Carmel. L’ordre des carmes menait la bataille contre le téméraire qui avait osé mettre en doute nombre d’histoires reçues parmi ces religieux, et notamment qu’ils fussent les héritiers légitimes et les continuateurs des prophètes Élie, Elisée et Enoch, leurs maîtres et fondateurs.

Ce gros livre, justement oublié, est un des chefs-d’œuvre de l’ineptie humaine. La liste des propositions malsonnantes, détestables, hérétiques ou sentant l’hérésie signalées par les carmes et autres religieux et docteurs de Louvain montre quel était l’état d’esprit d’un groupe ecclésiastique considérable dans les dernières années du XVIIe siècle. Nous en voulons citer quelques-unes. Contre le sentiment commun de l’église, Papebrock soutient que le Christ a vécu trente-sept ans ; il ose douter que saint Luc ait peint les images du Christ et de la Vierge ; que Pierre ait siégé

  1. Ce titre est : Exhibitio errorum quos P. Daniel Papebrochius S, J, suis in notis ad Acta sanctorum commisit contra Christi paupertatem, œtatem, etc., Summorum Pontificum Acta et Gesta, brevia et decreta Concilia, etc., idque nonnisi ex meris conjecturis, argutiis negativis, insolentibus censuris, satyris ac sarcasmis cum ethnicis, hœresiarchis, hœreticisj aliisque auctoribus ab Ecclesia damnatis. Cologne, 1693. Les approbations sont de l’année précédente de mars à décembre.