Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quart d’heure sur les sièges d’une salle ouverte à tous les vents sorte content de ce qu’il a entendu. Quoi de plus humiliant pour le professeur d’être abaissé au rang d’amuseur public, constitué par cela seul l’inférieur de son auditoire, assimilé à l’acteur antique dont le but était atteint quand on pouvait lui dire : Saltavit et placuit ! »

L’attaque était vive, et le morceau, quoique d’une belle venue, sembla dur à plus d’un. Jamais la rhétorique officielle n’avait été traitée d’aussi verte façon par la rhétorique d’en face. Elle en gémit encore. Il me semble qu’elle eût mieux fait d’en prendre gaiement son parti et d’attendre que M. Renan lui revint ; car entre elle et cet étonnant virtuose il a pu s’élever des nuages, il n’y a jamais eu de brouille sérieuse ni de colères autres qu’oratoires. Et qui sait si la même plume d’où est tombé cet impertinent et classique Saltavit ne réserve pas à d’autres saltatores, à certains charlatans de science, une correction aussi mémorable et bien autrement méritée ? Qui sait ? Théophraste a de si singuliers retours !

Quoi qu’il en soit, le coup avait porté et le talent n’avait qu’à se bien tenir. Trop longtemps il avait été « le but suprême, » trop longtemps nos facultés, nos établissemens scientifiques eux-mêmes « avaient penché vers les exercices oratoires » au détriment de la recherche et de l’érudition. Il fallait secouer ce joug, en finir avec cette culture artificielle qui, tournant sur elle-même sans se renouveler, « dégénérait forcément en déclamations de rhétorique. » N’insistons pas ; l’argument, à force d’être ressassé depuis vingt ans, a fini par devenir lui-même un mauvais lieu-commun. En 1864, il n’était pas encore défloré ; de récentes manifestations lui donnaient même une force d’actualité qu’il était difficile de méconnaître. Aussi l’administration, dont la sollicitude avait été jusqu’alors plus particulièrement attirée par d’autres soins, n’hésita pas dès ce moment à mettre à l’étude la grave question soulevée par M. Renan. Une grande enquête sur l’état comparé des écoles primaires en France et à l’étranger se poursuivait déjà depuis plusieurs mois par les soins d’hommes spéciaux. On y joignit une instruction parallèle sur la situation des établissemens d’enseignement supérieur en France, en Angleterre, en Belgique, en Italie, surtout en Allemagne. Et pour en réunir les élémens, on fit appel à tous les concours, on usa de tous les moyens. On s’adressa d’abord en France aux personnes les plus compétentes, aussi bien dans l’université qu’en dehors d’elle. On ne demanda pas aux corps savans, ni surtout aux corps intéressés, une de ces consultations générales qui le plus souvent ne concluent pas et manquent de sincérité ; mais on eut soin d’interroger individuellement beaucoup de leurs membres. On en usa de même à l’égard des écrivains qui passaient pour avoir quelque