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Le besoin de manifester, rien de plus. De temps en temps, la jeunesse des écoles, éprouve ce besoin et s’y abandonne, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre. Le lion du quartier Latin secoue sa crinière et rugit. Ordinairement, quand il a bien rugi et produit son petit effet, il se tait, ou, si d’aventure il s’obstine, le sergent de ville intervient, le lion va passer quelques heures au poste, fait des excuses à l’officier de paix, et tout est dit.

C’est ainsi du moins qu’on en usait autrefois. M. Nisard le rappelait l’autre jour avec infiniment de verve et d’esprit. On tenait alors qu’un professeur dans sa chaire est aussi respectable qu’une honnête femme dans la rue, et l’on n’attendait pas qu’il criât au secours et qu’il eût subi les derniers désagrémens pour venir à son aide. Quand on n’avait pu lui épargner un premier assaut, on s’arrangeait de façon à lui en épargner un second ; et, s’il le fallait, pour rétablir l’ordre on ne reculait pas devant les moyens de police. Cette fois, ni la Sorbonne, retenue par des considérations d’ordre vraiment trop gothique, n’a voulu réclamer l’emploi de ces moyens, ni le gouvernement ne s’est soucié d’y recourir. Pendant qu’à deux reprises différentes le professeur, à force de présence d’esprit et de dignité, domptait ses insulteurs, la faculté, l’administration, le gouvernement, se croisaient les bras ou délibéraient. Il n’y avait plus après cela qu’à suspendre le cours ; car, suivant le mot toujours aussi vrai du prince Eugène, « quand les généraux tiennent conseil, c’est qu’ils n’ont pas envie de se battre. » M. Caro a compris ce qu’on attendait de lui, et très dignement il est descendu de sa chaire. Et, après, qu’est-ce que cela prouve ? Que nous vivons dans un temps où l’autorité n’a plus de ressort, que nous entretenons à grands frais une police inutile. Soit ! mais qu’ont à voir ici les cours publics et que peut-on bien leur imputer ? Est-ce leur faute si le gouvernement n’a pas su faire respecter la faculté ? En vérité, le grief est mince et l’argument d’une rare pauvreté. Quoi ! parce qu’un cours a été troublé, il faudrait fermer tous les autres ? Parce qu’un petit groupe d’écervelés ont pu manifester impunément à la salle Gerson, ce serait le public ordinaire des grandes leçons, non-seulement celui de M. Caro, mais celui de M. Crouslé et de M. Martha, qui en porterait la peine. Singulière façon d’entendre la justice et de pratiquer la liberté !

Sans doute il n’est encore question que de mesures d’ordre et de précaution à prendre. On n’entrerait plus désormais dans nos amphithéâtres, même les femmes, qu’avec des cartes signées du professeur. Mais patience, cette dérogation au principe de la publicité des cours en entraînera d’autres, et ce premier pas franchi ne sera pas le seul. Après avoir exclu les auditeurs de passage, les curieux,