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que, dans chaque pays, le sol se prête à une foule d’accidens locaux, qui changent à chaque pas et se répètent en reparaissant, après avoir fait place à d’autres. Ces accidens fournissent ainsi aux espèces végétales tout un ensemble de conditions partielles d’existence, en correspondance avec les aptitudes qui se sont produites et accentuées à la longue. Au total, le règne végétal s’est différencié dans la mesure même des différenciations orographiques et climatologiques de la surface terrestre : celles-ci sont à considérer en réalité, si l’on veut se rendre raison de la nature des modifications éprouvées par les végétaux et de la direction imprimée à leur marche évolutive.

En d’autres termes, la terre se trouve divisée sous nos yeux, au point de vue de la répartition des plantes, en régions ou circonscriptions botaniques. Ces circonscriptions avaient paru à certains esprits devoir répondre à autant de centres de création, berceaux primitifs d’associations d’espèces qui auraient ensuite rayonné jusqu’aux frontières de chacune des aires juxtaposées. Mais, une fois que l’on tient compte de la durée et des transformations de la flore, il est naturel de rechercher plutôt à quel ensemble de phénomènes compliqués, à quel enchaînement de causes générales ou partielles sont dues l’origine et la formation de ces circonscriptions. — Il est indispensable, avant tout, de s’en faire une idée sommaire, et, pour cela, de recourir aux auteurs qui, depuis Humboldt et Pyrame de Candolle jusqu’à Grisebach, le plus récent de tous, se sont efforcés d’en présenter le tableau.

Humboldt, plutôt physicien et géologue que botaniste, a cherché à rendre les impressions qu’il avait ressenties en parcourant les contrées très diverses explorées par lui. La végétation, prise dans ses traits généraux, lui avait paru communiquer à chacune d’elles une physionomie à part dont il avait voulu définir les caractères sans pour cela descendre dans les détails relatifs à la distribution des espèces. Les contrastes qu’il a fait ressortir tenaient surtout à la présence exclusive de certains végétaux : les palmiers et les bananiers, par exemple, à l’intérieur des tropiques ; les arbres à feuillage persistant dans le voisinage, mais en dehors des tropiques ; la verdure tendre et printanière des masses forestières de nos pays, opposée au sombre aspect des sapins qui dominent à mesure qu’on s’avance vers le nord ou qu’on gravit la cime des montagnes, c’étaient là des images saisissantes pour un savant dont l’âme était ouverte aux émotions de l’artiste et qui ne négligeait aucune occasion de les traduire. Pyrame de Candolle était, au contraire, uniquement botaniste et exclusivement préoccupé de la distribution géographique des espèces. Comme l’a dit son fils[1], il espérait réussir à

  1. Géographie botanique raisonnée, p. 1300. Paris et Genève, 1855.