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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/542

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ce que je dois faire. Cette démarche, qui peut paraître aventureuse, mais qui l’est moins qu’il ne le parait pour qui connaît bien son monde, a fait ici assez d’effet. Elle avait réussi, chacun a trouvé les mesures bien prises ; un rien l’eût-elle fait manquer que tout le monde me fût tombé sur le dos. » Peu de temps après, La Moricière obtint du général Voirol la liberté du marabout Si Allal et du cadi de Koléa, que le duc de Rovigo avait fait prendre par le général de Brossard ; il voulut les ramener lui-même, sans escorte française, mais avec un nombreux cortège arabe. Son entrée à Koléa fut un triomphe et son retour une fête ; deux cents cavaliers, dans leurs plus beaux costumes, lui donnaient la fantasia et faisaient en son honneur parler la poudre.

C’était mieux qu’un succès personnel : la cause française venait de faire avec lui un pas considérable ; elle gagnait parmi les indigènes des adhérens tous les jours. Des prairies de l’Oued-Hamise, les troupes avaient rapporté des germes de fièvre paludéenne ; l’été venu, le mal avait étendu ses ravages ; comme l’année précédente, les hôpitaux étaient encombrés, le poids du service écrasait les hommes valides. A Bône, dans des circonstances analogues, le général Duzer avait su tirer des gens du pays un parti utile ; pourquoi ne réussirait-on pas aussi bien aux environs d’Alger ? On réussit. La gendarmerie eut désormais des auxiliaires dans les spahis d’El-Fhas, et les troupes françaises furent relevées, dans la garde des blockhaus et des postes les plus insalubres, par des volontaires qui venaient s’offrir des douars ou des villages voisins. Encouragé par cet essai favorable, le général Voirol résolut d’associer les indigènes à de grands travaux. Tandis qu’il faisait ouvrir, par tout ce que son infanterie pouvait lui fournir de disponible, de belles routes à travers le Fhas et commencer la vaste enceinte d’un camp à Douéra, il donnait des ordres pour assécher le marais de Bou-Farik, dégager les alentours, abattre les taillis, réparer la chaussée, consolider les ponts, supprimer, en un mot, les chances périlleuses du défilé. Le hakem de Blida et le kaïd de Beni-Khelil se prêtèrent à ses vues et s’engagèrent à fournir des travailleurs.

Tout marchait au gré des optimistes ; l’avenir s’annonçait mieux encore, quand soudain l’embellie cessa. Appelé à servir ailleurs, La Moricière n’était plus là pour imposer aux indigènes. Lui disparu, la Métidja redevint houleuse. Comme il n’y avait plus auprès du général Voirol un seul officier sachant bien la langue du pays, il mit à la tête du bureau arabe le chef des interprètes, un très honnête homme, orientaliste éminent, mais qui était âgé, ne montait plus à cheval et n’était pas militaire. Le prestige qui, aux yeux des indigènes, entourait La Moricière, jeune, actif, excellent cavalier, brillant capitaine, son successeur ne pouvait pas s’en prévaloir. Les