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ou bien qu’ils servissent le pays dans les grandes affaires. Saint-Simon rend à l’ambassadeur, fils du célèbre Arnauld d’Andilly, et neveu du grand Arnauld, devenu en 1671 le successeur de Lionne au ministère des affaires étrangères, ce beau témoignage qu’il excellait par un sens juste, exquis, par une modestie et une simplicité admirables, par la piété la plus éclairée et la plus solide. « Ses yeux, dit-il, montraient de la douceur et de l’esprit ; toute sa physionomie, de la sagesse et de la candeur, un art, une dextérité, un talent singulier à prendre ses avantages en traitant, une finesse, une souplesse sans ruse qui savoit parvenir à ses fins sans irriter, une patience qui charmoit dans les affaires, et avec cela une fermeté et, quand il le falloit, une hauteur à soutenir l’intérêt de l’état et la grandeur de la couronne que rien ne pouvoit entamer. »

Saint-Simon en parle à distance, avec ce respect ; mais Mme de Sévigné en parle de tout près, avec son cœur. On sait quel charme familier et fidèle tous deux goûtaient dans une amitié qui avait précédé de vingt ans la faveur royale et l’applaudissement public enfin décernés à Pomponne. C’est à lui qu’étaient adressées les célèbres lettres sur le procès de Fouquet, à cause de sympathies communes. Avec cet ami, dans un intérieur sévère et simple où respiraient la sécurité morale et la confiance réciproque, Mme de Sévigné conversait à perte de vue, de sa fille d’abord, dont il parlait tendrement et puis de la Providence, doctrine qu’à son avis il entendait fort bien, et de l’amour de Dieu, et de la gloire, et des travers humains, et de la cour et de la ville, et des « dessous de cartes. » Quel chagrin lors de sa disgrâce, en novembre 1670 ! « Quel changement ! quel retranchement ! quelle économie dans cette maison ! Huit enfans ! n’avoir pas eu le temps d’obtenir la moindre grâce ! » Mais il « n’étoit pas de ces ministres sur qui une disgrâce tombe à propos pour leur apprendre l’humanité ; la fortune n’avoit fait qu’employer les vertus qu’il avoit pour le bonheur des autres. » Ces vertus allaient de nouveau servir, accrues encore, à l’honneur de sa vie privée, jusqu’à ce que le roi lui rendît de nouveau justice, et lui donnât l’occasion de former aux affaires son gendre Torcy.

Chanut, avant Pomponne, s’était fait admirer par sa science en même temps que par son habileté aux affaires. Il excellait dans la philosophie, la jurisprudence et les mathématiques. Il parlait latin, grec, hébreu, dit l’éditeur de ses Mémoires, comme sa langue naturelle, et de sa langue naturelle il connaissait toutes les ressources et toutes les beautés. Au retour de voyages qu’il fit tout jeune pour s’instruire, il réfléchit sur le véritable prix de la vie et sur le mauvais usage qu’il en voyait faire autour de lui. Il résolut de régler sa conduite sur les plus sévères principes de la philosophie chrétienne,