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nulle raison de m’en repentir[1]… Voilà mes sentimens sur ce sujet : s’ils vous plaisent, je serai aise ; si non, je ne laisserai pas de les avoir et serai toute ma vie votre affectionnée amie.

« CHRISTINE. »


Et à Chanut lui-même ; elle écrivait le même jour :

« Je vous envoie la lettre que j’ai écrite à M. le cardinal. Je n’ai rien à y ajouter, sinon de vous prier de l’assurer de ma part que je suis capable de tout faire pour lui et pour le roi son maître, hormis de craindre et de me repentir. Je ne connois personne assez grand ni assez puissant pour me faire démentir mes sentimens ni pour m’obliger à désavouer mes actions. Je ne vous dis pas ceci comme un secret que je vous confie comme à un ami ; mais je vous le dis comme un sentiment que je suis prête à déclarer à toute la terre, et qu’on ne pourra m’empêcher de l’avoir ni le déclarer qu’en m’empêchant de vivre. »

Leibniz a beau démontrer à sa manière[2]

que la reine Christine était dans son droit : jure suo non abusa est ; la férocité de ces lignes, avec ce qui se laisse deviner de l’action qu’elles soutiennent, démenti une fausse fierté, et nous gâte en même temps la femme, la précieuse et la reine, sans parler de la nouvelle convertie.

Si nous revenons, après cette parenthèse, à nos négociateurs, il faut placer au second rang, après les hommes de principal mérite que nous avons nommés, le marquis de Feuquière, Isaac de Pas, parent dès Arnauld par sa mère, ami familier de Mme de Pomponne, descendant d’une race jugée, fort bonne par Henri IV à la journée d’Ivry, et qui remontait aux croisades. Fils de Manas-ses de Feuquière, l’habile ambassadeur et homme de guerre que le père Joseph protégeait, père d’Antoine de Feuquière, auteur de Mémoires bien connus, duquel Mme de Sévigné disait : « Il a un coin d’Arnauld dans la tête qui le fait mieux écrire que les autres, » Isaac déploya pendant dix années d’ambassade en Suède une énergie et un entrain extraordinaires, sans cesse la plume ou l’épée à la main, accompagnant dans ses campagnes un roi belliqueux,

  1. Ici quelques mots peu lisibles : « mais que c’est plus de ceci qu’il doit être ravi ? ) ». Les lettres de Christine sont d’une prande écriture hative souvent difficiles à lire. Celle-ci, je le répète, écrite avec furie, de haut en bas, avec dus taches d’encre, est quelquefois absolument indéchiffrable : l’effet de cet horrible billet n’en est que plus saisissant — Les curieux pourront le retrouver au registre Suède, supplément, 22, page 142.
  2. Voyez l’édition des Œuvres de Leibniz par Dutens, t. IV, p. 348.