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l’histoire mais qui avait le culte des dossiers, la passion du classement. « Tandis que, dans les clubs révolutionnaires, on vouait à la destruction nos bibliothèques, nos œuvres d’art et jusqu’aux registres de l’état civil, ce fonctionnaire obscur de l’insurrection obéissait placidement à la bienfaisante manie de l’esprit d’ordre. Les chefs de service constatèrent, non sans étonnement, à leur retour de Versailles, que les correspondances étaient rangées, classées dans les cartons avec un soin méticuleux. C’était l’œuvre d’un archiviste improvisé, sorti des barricades. » M. Rothan considéra le salut miraculeux de nos archives comme un présage favorable. Après avoir eu pour nous les dernières rigueurs, la fortune nous témoignait quelque indulgence et semblait vouloir nous prouver que les Vandales n’auraient pas le dernier mot, que l’instinct de conservation prévaudrait sur leurs aveugles fureurs. Les hommes qui ont fait des efforts si méritoires pour réparer nos ruines auraient perdu leurs peines s’ils n’avaient eu pour complices une foule d’inconnus qui ont encore la manie bienfaisante de l’esprit d’ordre.

La France avait deux tâches bien laborieuses à remplir ; elle devait se refaire une armée et implanter chez elle un gouvernement nouveau. Nous pouvons nous plaindre de bien des choses, nous avons traversé bien des crises et consumé un temps précieux en querelles fâcheuses ou puériles, en discussions byzantines. Toutefois il nous est permis d’alarmer qu’en définitive nous avons trompé les espérances de nos ennemis. Soyons réglés dans notre conduite, modérés dans nos désirs ; après avoir fatigué le monde de nos prétentions, étonnons-le par notre sagesse ; le reste viendra par surcroit. Renonçons pour toujours à la politique de sentiment ou de vanité, n’ayons en vue que nos intérêts, ne consultons que notre égoïsme, pourvu qu’il soit intelligent. Il n’est plus question d’adorer aucun de nos voisins, le temps du romantisme et des illusions est passé ; mais n’ayons jamais d’humeur, faisons bonne mine à qui nous boude, oublions et les services que nous avons rendus et ceux qu’on a refusé de nous rendre. Le gouvernement italien ne nous prodigue pas ses faveurs, il affecte de ne jamais parler de nous ; il finira par comprendre que les deux nations sont intéressées à faire bon ménage, et que s’il survient quelques difficultés, elles doivent s’appliquer à les résoudre dans un esprit de paix et de conciliation. L’Italie est faite, et jamais la France n’entreprendra de la défaire ; mais il faut qu’en retour les Italiens nous permettent d’exister, de tenir une certaine place dans le monde. Vivre et laisser vivre, c’est la meilleure des devises.


G. VALBERT.