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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/693

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peut-être, après cela, ne serait-il point l’autre ? Évidemment le professeur qui parle ainsi de Bossuet l’admire, puisqu’il le dit, mais il ne le sent pas. Son enthousiasme est de convention, et son admiration de commande. Il sait, il a entendu dire que l’on doit parler de Bossuet comme d’un incomparable orateur et d’un incomparable écrivain, et il s’y efforce, mais, ce qu’il ne voit pas, et, naturellement, ce qu’il ne montre point, c’est par où, c’est en quoi, c’est comment l’un et l’autre sont incomparables. Et semblable à ce poète qui, faute d’idées, disait-il, s’en allait composer une ode, faute ainsi de savoir ce que l’on admire dans Bossuet, M. Deschanel se répand en métaphores qu’il tire de la musique, de la peinture ou de l’architecture pour n’aboutir enfin qu’à découvrir dans Bossuet ce qu’il nous montrerait aussi bien dans Démosthène et dans Cicéron, dans Massillon et dans Bourdaloue, dans Burke enfin et dans Sheridan : quelques-uns des traits les plus vagues et les plus généraux qui constituent l’imagination ou le tempérament oratoire. C’est que l’on ne parle pas de Bossuet sans l’avoir longtemps et assidûment pratiqué ; mais M. Deschanel ne l’avait jamais tant lu que depuis son installation dans la chaire du Collège de France ; et l’on s’en aperçoit assez à chaque mot qu’il en dit.

Si d’ailleurs il l’avait mieux lu, plus pratiqué, l’eût-il pour cela mieux compris ? On peut en douter ; et j’en doute si fort que je ne le crois pas. J’en trouve une preuve d’abord dans ce qu’il dit du genre même de l’oraison funèbre, le plus creux de tous, à son sens, et conséquemment le plus vide. Si peut-être quelque lecteur était tenté de partager cette opinion, je lui demanderais seulement de me dire pourquoi l’éloge d’un Turenne ou d’un Condé, d’une Henriette de France ou d’une Anne de Gonzague est une matière plus mince que la discussion d’un budget annuel ou d’une proposition de loi sur les syndicats ouvriers. Parce que l’on a dit une fois que l’oraison funèbre était un genre creux, le répéterons-nous donc jusqu’à la consommation des siècles ? et voyez un peu de quoi sert l’esprit s’il ne nous permet seulement pas d’éviter de redire les sottises des autres ! Où M. Deschanel est-il encore allé chercher ce qu’il dit de l’insuffisance de fond ou du manque de vérité des Oraisons funèbres ? Je le renvoie de nouveau à l’édition de M. Jacquinet. Quand on formule ces sortes de critiques, on en a toujours, comme chacun sait, à l’Oraison funèbre d’Henriette de France, d’une part, et, d’autre part, à l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche. Mais, en ce qui touche la première, et si l’on admet qu’aujourd’hui nous jugions cette mémorable révolution d’Angleterre autrement que Bossuet, qui ne voit que lui-même qualifierait notre prétendue vérité d’erreur ? et qui ne sent d’ailleurs que, pour en juger autrement, l’évêque catholique eût dû commencer par dépouiller sa robe et abjurer son caractère ? Mais, quant à la seconde, c’est méconnaître ou nier