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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/695

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si cela ne saurait suffire, c’est au moins plus prudent. Car enfin, qu’est-ce que c’est que « manquer d’idées, » lorsque, comme Bossuet, quelque sujet que l’on aborde, on s’y trouve naturellement et constamment égal, ou plutôt si supérieur qu’à le toucher seulement on le renouvelle, et qu’en le développant on le recrée, pour ainsi dire, à mesure ? Est-ce dans les Sermons que M. Deschanel aperçoit ce manque affligeant d’idées ? Est-ce dans les Élévations sur les mystères ou dans les Méditations sur l’Evangile ? Est-ce dans l’histoire des variations ? Ce doit être surtout dans le Discours sur l’histoire universelle, ou dans la Politique tirée de l’Écriture sainte, et Bossuet manque d’idées parce qu’il n’est pas républicain, mais il en manque encore plus parce qu’il n’est pas libre penseur. Peu importe, d’ailleurs, qu’aucun métaphysicien peut-être, non pas même Platon, n’ait amené à un plus haut degré de lumière et de clarté les questions les plus obscures que l’on puisse remuer dans les écoles des philosophes. Peu importe qu’aucun moraliste n’ait mieux vu, plus profondément ni plus finement, dans le fonds même de l’homme. Peu importe qu’aucun historien n’ait assigné plus sûrement aux plus grands événemens leurs plus justes causes ou du moins leurs plus probables. Bossuet manque d’idées, puisqu’il n’a point celles de M. Deschanel sur le mérite éminent de la démocratie future, ou celles de M. Renan sur l’origine du christianisme et la composition du Pentateuque. Styliste donc, si l’on veut, ou rhéteur même, orateur, écrivain, père de l’église, mais historien, mais philosophe, mais savant, mais « penseur, » non pas. Car on manque d’idées dès que l’on a des croyances, ou du moins certaines croyances ; on n’est pas un penseur dès que l’on pense d’une certaine manière ; et M. Emile Deschanel, — l’auteur des Courtisanes grecques et du Mal et du Bien qu’on a dit de l’amour, — est le juge de ces croyances comme de cette manière de penser.

Préparé de la sorte, on devine ce que M. Deschanel a pu dire des Oraisons funèbres ; — ou plutôt, il en a parlé longuement, il les a toutes analysées, y compris le Sermon pour la profession de Mme de La Vallière, il a tissu dans son analyse le plus qu’il a pu d’ornemens extérieurs, et au total il n’en a rien dit. Car, de nous avoir appris que « le génie oratoire de Bossuet, dont le caractère principal est la force, possède aussi, lorsque le sujet le demande, la délicatesse et la grâce, » on ne peut pas prétendre que ce soit une découverte ; non plus que de nous avoir révélé « que le principal caractère de son éloquence est d’unir à une majesté souveraine une surprenante familiarité. » Nous connaissions avant lui ces formules qui traînent dans toutes les histoires de la littérature française, — et dans les moindres éditions classiques des Oraisons funèbres. De même, il pouvait se passer de nous raconter après tant d’autres, et sans y rien ajouter de son fonds,