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La phrase se développe, elle conclut ; mais l’entrée des voix en majeur, la progression de l’ensemble et la reprise finale sont insignifiantes. Le duo laisse une impression analogue : après le chant du ténor et la reprise de la femme, des modulations trop prévues amènent un simple unisson à l’italienne. Signalons cependant un agréable accompagnement de flûtes qui relève un peu ce morceau. Le finale belliqueux est banal lui aussi, mais il pouvait être plus vulgaire. L’occasion était dangereuse, et M. Joncières aurait pu déchaîner plus de trompettes.

Au second acte, la chanson sarrasine du petit page est pittoresque. La lente dégradation des gammes chromatiques et le bourdonnement à la basse d’une quinte obstinée lui donnent la langueur orientale. Nous aimons peu le duo qui suit entre Hélène et Rudolf, et les couplets du traître, malgré la brutalité cherchée et assez bien trouvée de la ritournelle et du refrain. La nuit descend ; Chérubin accorde sa guitare et la comtesse ouvre sa fenêtre.

Dès qu’une jeune femme vêtue de blanc soupire une romance aux étoiles, on songe involontairement à Marguerite. Ici pourtant la rêverie d’Hélène est bien à elle, et nous pouvons l’en féliciter. C’est peut-être à Juliette et non pas à Marguerite que le musicien a pensé, et le petit chœur derrière la scène rappelle un peu trop le chœur des jeunes seigneurs qui cherchent aussi un page dans le jardin des Capulets.

A la fin du second acte, M. Joncières aurait pu ne se souvenir que de lui-même, il ne l’a pas fait assez. Si douce que soit la cantilène dont nous parlons, elle est loin du duo de Dimitri. Là aussi l’on chantait sur un balcon : le héros et sa fiancée confiaient aux brises du matin l’aveu de leur amour. Le sentiment était analogue, mais le musicien n’a pas retrouvé cette fois-ci la même inspiration. Par ce détail rappelé au hasard, comme par l’ensemble de l’œuvre, le Chevalier Jean ne vaut pas Dimitri, il a moins d’originalité et de puissance. M. Joncières n’a refait ni le chœur des Tziganes, ni le duo du premier acte, ni les couplets de Vanda, ni surtout l’invocation de Dimitri, soutenue par le tintement solennel des cloches du Kremlin. C’était un tableau de maître, cette halte en vue de Moscou, cet hommage respectueux, presque repentant, du héros a sa patrie par lui reconquise, mais ensanglantée.

La scène de la Confession, qui a été fort appréciée et qui mérite de l’être, élève le troisième acte du Chevalier Jean bien au-dessus des autres. Le ton n’est pas héroïque comme dans Dimitri, mais il est pénétrant. Le musicien a tiré parti d’une situation originale et touchante. Le chant de l’humble pénitente se déroule avec noblesse et s’achève avec simplicité. Il exprime à la fois l’assurance de la femme injustement condamnée et l’angoisse de la pauvre enfant qui va mourir. La nuance du sentiment était délicate, et M. Joncières l’a finement rendue.