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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/707

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de province, avec des artistes de second ordre. On les mène rondement et l’on sauve ainsi les faiblesses, les vulgarités qui ressortent à l’Opéra avec un relief impitoyable. La vulgarité surtout éclate à chaque instant et parfois là où l’on ne l’attendait pas. Ainsi la fameuse chanson du ténor au quatrième acte : Comme la plume au vent, gardait dans notre mémoire une désinvolture aimable. Mais quand tous les violons de l’Opéra attaquent la ritournelle, ils en font une formidable mazurka. Même observation pour l’entrée de Gilda au second acte : trop de puissance, trop de bruit. Le premier acte surtout, le plus mauvais des quatre, est détestable à l’Opéra. A vrai dire, il serait le même partout. Sur quelle musique danse-t-on chez le duc de Mantoue ? Ce n’est même plus la mazurka, c’est le quadrille, ou pis encore ; c’est un bal de barrière avec un orchestre de foire.

A propos de la première représentation de Rigoletto à Paris en 1857, Scudo rapportait un mot que l’on prêtait à M. Verdi : « Sono un paesano, » aurait-il dit de lui-même. On retrouve à chaque instant dans Rigoletto ce côté un peu rude, un peu gros, que le maître sentait au fond de sa nature. Rigoletto n’est pourtant pas, même par la date, un des premiers ouvrages de M. Verdi. Il avait déjà fait autre chose, et bien pire. Depuis, le paysan s’est singulièrement dégrossi, et ses dernières productions nous permettent de parler librement des autres. La messe de Requiem, Aïda, ces deux glorieuses étapes sur une route nouvelle, ne seront sans doute pas les dernières. M. Verdi nous a prouvé que l’âge ordinaire de la décadence est encore pour lui l’âge du progrès.

Le second acte de Rigoletto, qui ne vaut guère mieux que le premier, s’ouvre pourtant par un duo intéressant entre le bouffon et Sparafucile. Voilà pour la première fois la vérité dramatique, l’expression juste et sobre. On sent que ces deux hommes complotent des choses sombres. A travers leur dialogue, le chant des basses circule sourdement, il soutient les voix sans les écraser ; c’est à la fois scénique et musical. Mais, à l’Opéra, ce morceau, comme bien d’autres, est pris trop lentement.

Dans les deux duos qui suivent, M. Verdi semble manquer, de parti-pris, à la vérité dramatique. A peine Rigoletto a-t-il chanté sa phrase mélancolique : Ne parle pas au malheureux, que Gilda se lance dans des modulations banales et tout à fait déplacées. C’est bien autre chose après le second cantabile : Veille, ô femme. La jeune fille en agrémente la reprise par des notes piquées qu’on appelle, je crois, des cocottes, en langage d’école, et dont l’effet est ridicule ici. Quant à l’orchestre, il accompagne avec des fredons de guitare. Citons au passage, dans le duo suivant, la jolie phrase que M. Dereims commence et surtout achève trop bas, comme le reste de son rôle ; mais