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et le crédit passablement endommagés de la république. L’aveu est certes précieux de la part de ceux qui le font. Le mal existe, cela n’est pas douteux, et s’il ne faut, pour le guérir, qu’un nouveau mode de vote, rien de plus simple, rien de plus facile ; mais que fait-on pour que ce scrutin de liste, auquel on a recours comme à un remède souverain, ait quelque efficacité, pour que cette réforme électorale à laquelle on se rattache puisse avoir une influence salutaire ? On fait justement tout ce qu’il faut pour que le remède ne soit que l’aggravation du mal. On ne se préoccupe nullement des conditions sérieuses d’équité et de vérité dans une grande consultation populaire. Il s’agit avant tout de profiter du scrutin de liste, de choisir les combinaisons les plus favorables à un intérêt de parti, à la prépondérance républicaine.

Rien ne le prouve mieux que ce qui est arrivé au sujet de la fixation du nombre des députés par département. Il y avait deux systèmes en présence. M. le marquis de Roys, énergiquement appuyé par M. Ribot, proposait de fixer le nombre des députés d’après le chiffre, des électeurs inscrits, ce qui était simple, rationnel et précis. Les radicaux, auxquels s’est ralliée la majorité républicaine, ont voulu que le nombre des députés fût déterminé d’après le chiffre de la population. Or ce chiffre de la population est essentiellement variable, équivoque et trompeur. Il comprend des éléments de toute sorte, les militaires qui ne font que passer, les aliénés, les repris de justice, même les étrangers. Paris a près de deux cent mille étrangers, d’autres départemens en ont plus de deux cent mille : de sorte que tous ces étrangers, Allemands, Anglais, Italiens, Espagnols ou Belges, qui n’ont pas le droit de vote, mais qui comptent dans le dénombrement de la population, concourent par le fait à déterminer l’importance de la représentation d’un département. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’en Afrique les Arabes, qui sont pourtant sujets français, ne sont pas comptés. Pourquoi cette différence ? Parce qu’on ne s’inquiète pas des Arabes, tandis que les départemens où les étrangers affluent sont précisément ceux où les radicaux se croient assurés de la victoire et veulent avoir quelques députés de plus. C’est là ce qu’on appelle une réforme électorale bien entendue ! C’est là ce qui a été voté, d’accord avec le gouvernement, et ce qui peut devenir la loi nouvelle, — à moins, que, le sénat, usant de son droit de révision, ne se décide à déclarer que les Français seuls peuvent concourir à déterminer l’importance de la représentation française. De tout cela, cependant, que sortira-t-il ? Il ne faut pas l’oublier au début d’une nouvelle expérience : le scrutin de liste, quelques efforts qu’on fasse pour le diriger, pour le plier à des combinaisons, à des intérêts de parti, et même pour le fausser dans l’application, est un peu le régime des coups de vent et de l’imprévu. Aux temps où il a régné, il a souvent trompé tous les calculs, déjoué