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d’Armandy, qui ne cherchait qu’à gagner du temps, répondit en demandant pour Ibrahim, ami de la France, lui aussi, une suspension d’armes. Après avoir fait quelques difficultés, Ben-Aîssa finit par y consentir. Il fut convenu que, de part et d’autre, on prendrait les ordres d’Alger et de Constantine.

Vingt jours se passèrent ainsi : pour Ibrahim dans l’indécision de ce qu’il devait faire, ou rester dans la kasba, au milieu de sa garnison, dont il n’était plus sûr, ou se réfugier avec sa famille auprès du capitaine ; pour celui-ci, dans l’attente fiévreuse de la goélette Béarnaise, qu’il était surpris chaque matin de ne pas voir revenue pendant la nuit au mouillage. La mer était mauvaise ; la goélette, retardée par les vents, n’arriva que le 26 mars. Aussitôt M. d’Armandy se rendit à bord, fit connaître au commandant Fréart l’état des choses et lui persuada sans peine de demeurer en rode, en faisant partir pour Alger un bateau du pays avec ses dépêches. Il était temps ; car dans une nouvelle conférence, provoquée le même jour par Ben-Aïssa, il déclara que la suspension d’armes n’avait fait que le compromettre auprès d’Ahmed et que l’ordre lui était venu de reprendre les hostilités. Jusuf était revenu de Tunis ; le capitaine d’Armandy, lui et le commandant Fréart reconnurent sans hésitation et de concert la nécessité de sauver à tout prix la kasba : il fut convenu qu’un détachement de marins serait mis par le commandant à la disposition des deux autres.

Il restait à connaître le sentiment d’Ibrahim et de ses Turcs. Le capitaine et Jusuf se rendirent à la kasba. Quand ils eurent proposé au chef de se retirer à bord de la goélette et de leur laisser le soin de la défense, il s’éleva des rumeurs, puis une contestation vive, puis un bruyant tumulte ; des clameurs les partis qui divisaient la garnison faillirent passer aux violences ; la vie des deux officiers, leur liberté du moins, fut un instant menacée. Cependant, grâce à la fermeté de ceux qui leur étaient favorables, ils purent se retirer avec l’assurance de connaître avant le lendemain la résolution d’Ibrahim. À minuit, un canot manœuvré par un Turc accosta la felouque ; la nouvelle qu’il apportait était considérable. Ibrahim avait été chassé hors de la kasba avec quatre des plus récalcitrans ; tous les autres étaient d’accord pour recevoir les Français. À quatre heures du matin, nouveau message, nouvel avis plus pressant encore : si les Français ne se hâtaient pas, la kasba courait risque d’être abandonnée par les meilleurs et livrée à Ben-Aïssa par le reste.

Tout était en mouvement sur la goélette ; les commandemens de branle-bas étaient faits, les canots prêts à déborder. Avant d’appeler les marins à terre, les capitaines d’Armandy et Jusuf, avec