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servir à rien. Comme matériel, le service des torpilles est d’une pauvreté lamentable. D’abord, nous le répétons, il n’y a pas d’usine de construction, répondant à ce que Ruelle et Saint-Gervais sont pour l’artillerie. Quant à l’entretien et aux réparations, ils se font dans les ateliers des ports, à personnel restreint, où n’existent ni plans, ni travaux en vue de l’avenir, où l’on se borne à parer aux besoins urgens, aux avaries qui se produisent. Les ouvriers de ces ateliers n’ont pas plus de consistance que le sous-ingénieur qui les dirige. On a pris pour travailler aux torpilles des mécaniciens empruntés à divers services ; il n’y aurait point à s’en plaindre s’ils restaient attachés à leur nouvelle besogne. Mais ils vont sans cesse d’un atelier à l’autre, passent de celui des torpilles dans celui des machines des bâtimens, etc., etc. Les contremaîtres et chefs d’atelier ne sont pas plus stables. Aussi ne trouverait-on pas dans l’atelier de n’importe lequel de nos cinq ports les plans nécessaires pour construire, quand le besoin s’en fait sentir, les pièces de rechange d’un appareil de lancement de torpilles. A chaque avarie, on va sur le bateau où elle s’est produite pour prendre les mesures nécessaires à l’exécution du travail. Pour les approvisionnemens et les rechanges, il n’y a rien dans nos ports. Enfin la commission de réglage a sous ses ordres un atelier dérisoire composé d’un contremaître et de quelques ouvriers. Cet atelier est pourtant celui qui fonctionne le mieux à Toulon, car, grâce à un heureux hasard, son personnel n’a pas été changé depuis longtemps ; mais il est bien insuffisant, et il le deviendra bien plus encore.

Ainsi donc le service des torpilles n’existe pas ou existe dans des conditions telles qu’il ne saurait fonctionner utilement. C’est en vain que de jeunes officiers se sont mis avec passion à l’étude des torpilles ; c’est en vain que quelques ingénieurs ont essayé de les suivre dans cette voie ; c’est en vain qu’on travaille avec ardeur sur le Japon et dans les défenses mobiles. Tous ces efforts isolés, toutes ces bonnes volontés sans appui, avortent faute d’encouragement et de direction. Chacun envoie à Paris des projets, des travaux, des plans souvent contradictoires ; et, pour se prononcer entre eux, pour trancher les difficultés ou plutôt pour en indiquer la solution au directeur du matériel, qui ne s’en soucie guère, il n’y a au ministère que deux lieutenans de vaisseau, lesquels auraient grand besoin, de se retremper là où l’on cherche, là où se produisent les progrès, c’est-à-dire sur le Japon et dans les défenses mobiles. Si l’on veut être au courant de ce qui se fait et prévoir ce qu’il faut faire, un maniement perpétuel de la torpille et de ses accessoires est nécessaire, car la torpille est en voie d’incessantes transformations, de perfectionnemens continuels. Elle s’est