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baleine. L’éléphant a appris à nager, ou plutôt il s’est entouré de défenseurs aquatiques qui le protègent de toutes parts. Les côtes de la Russie sont admirablement gardées, et les croiseurs russes s’habituent de plus en plus à s’élancer dans ces mers lointaines où ils cribleraient la baleine d’une telle quantité de traits qu’elle finirait par succomber, peut-être, à un aussi formidable assaut.

Il est triste de penser qu’au milieu de ces efforts universels des nations européennes pour se préparer à la guerre maritime de l’avenir, la France seule reste immobile. Seule elle n’a rien fait pour la défense de ses côtes et de ses ports de commerce, de même que seule elle n’a pas compris le rôle que la torpille allait être appelée à jouer en pleine mer. Quand on étudie de près l’état de notre marine, on est effrayé des travaux qu’on devra entreprendre, nous ne dirons pas pour la transformer, mais seulement, hélas ! pour s’en servir telle qu’elle existe. Aucun problème n’est résolu, aucune mesure n’est arrêtée. L’œuvre sera immense ; il n’y a pas un point de notre organisme maritime sur lequel il ne faille porter une main réformatrice. La tâche est si vaste, si complexe, qu’on s’explique les défaillances, qu’on comprend les hésitations de ceux qui, n’ayant pas le courage de se dévouer, nient la vérité pour n’être pas obligés de secouer la torpeur dont elle les a accablés. « Après nous le déluge ! » se disent-ils sans doute, car cette phrase, malheureusement trop française, n’est pas le dernier mot de la vieille monarchie expirante, nous l’avons retrouvée bien des fois, depuis sa chute, sur des lèvres qui auraient dû s’écrier : Laboremus ! Oui, il faut travailler, travailler tout de suite, travailler sans repos et sans relâche ; car l’heure est pressante et le péril est grand. Peu nous importe d’être traité d’alarmiste, lorsque nous signalons au pays la désespérante illusion de sécurité dans laquelle il se berce ! Peu nous importe d’être accusé de montrer nos faiblesses à nos rivaux et de les pousser à en profiter ! Nous savons trop de quelles bouches partent ces reproches et quels sentimens les inspirent. Il n’y n rien à gagner à s’aveugler soi-même sur sa puissance réelle, et quant aux autres, ils n’en sont point dupes ; on ne leur apprend rien lorsqu’on en découvre la vanité. C’est pourquoi nous avons cru de notre devoir, après avoir montré que le rôle de nos cuirassés était fini, que nos croiseurs étaient sans vitesse, que nos arsenaux étaient dépourvus des armes les plus nécessaires, d’exposer encore l’état de nos côtes si belles et si prospères, où chaque lame de la mer peut jeter un ennemi qui les saccagerait en quelques heures, sans rencontrer aucun obstacle capable de l’arrêter. Nos ports de commerce sont ouverts, nos populeuses cités du Nord sont exposées à tous les coups, et ces