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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/833

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jaunir, les bois étaient sans verdure ; mais les champs labourés avaient une belle couleur brune, les alouettes gazouillaient ; les cimes des hêtres prenaient déjà ces tonalités rougissantes, indiquant la sève en travail et le bourgeon en train de se gonfler.

— Tenez ! me dit Bastien, quand nous fûmes en forêt, on a reproché à mon Bûcheron du dernier Salon d’être planté dans un. paysage sans air… Eh bien ! nous voilà sous bois, et les branches n’ont pas encore de feuilles ; voyez cependant comme la figure humaine se détache peu du fouillis des arbres et des arbustes ! Il y a beaucoup de routine et de préjugés dans ce reproche qu’on fait à la perspective de mes tableaux de plein air. C’est de la critique de gens qui semblent n’avoir jamais contemplé un paysage qu’accroupis ou assis. Quand vous vous asseyez pour peindre, vous voyez naturellement un site d’une tout autre façon que si vous étiez debout. Assis, vous apercevez plus de ciel et vous avez plus d’objets : arbres, maisons ou êtres animés se découpant en silhouettes sur ce ciel, ce qui donne l’illusion d’un recul plus considérable et d’une aération plus large. Mais ce n’est pas ainsi que le paysage s’offre ordinairement à nos yeux. Nous le regardons debout, et alors les objets animés ou inanimés des premiers plans, au lieu de se profiler sur le ciel, se silhouettent sur des arbres, sur des champs gris ou verts. Ils se détachent avec moins de netteté, et, par places, se mêlent confusément avec les fonds, qui alors, au lieu de reculer, semblent venir en avant. Nous avons besoin de refaire l’éducation de notre œil, en regardant sincèrement comment les choses se passent dans la nature, au lieu de tenir pour vérités absolues des théories ou des conventions d’école et d’atelier…

Toute l’après-midi s’écoula ainsi doucement en intimes causeries, en lentes fumeries le long des talus boisés. Les merles sifflaient ; de temps en temps, nous découvrions dans le fourré une fleur annonçant que, décidément, le printemps approchait : l’anémone sylvie, aux pétales d’un blanc de lait, ou une branche de joli bois, avec ses fleurettes roses épanouies avant les feuilles et sa physionomie de plante japonaise. Jules se baissa et, cueillant un pied d’ellébore noir : « Hein ! est-ce beau ? s’écria-t-il. Comme on aimerait à faire une étude bien serrée de ces feuilles si décoratives, aux fines découpures d’un vert foncé, presque brun, d’où sortent cette hampe d’un vert si jeune et ce bouquet de fleurs verdâtres, lisérées de rose pâle ! Quelles formes élégantes et quelle variété de nuances tendres ! .. Voilà ce qu’on devrait faire copier aux enfans dans nos écoles de dessin, au lieu de l’éternelle et insupportable Diane de Gabies ! » Nous ne note en revînmes qu’au soir, par un magnifique coucher de soleil qui empourprait les toits fumeux de Réville et faisait ressembler les