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et de Mascara, en passant par le marabout de Sidi-Chabal ; en face d’elle, le général déploya sa colonne : à gauche, les chasseurs non montés et la légion étrangère ; au centre, le 66a et les obusiers ; à droite, les chasseurs à cheval. Ce fut la droite qui fut la première et la plus vivement engagée ; mais les obus éclatant au milieu des cavaliers ennemis les mirent dans un désordre que les charges des chasseurs et le feu de l’infanterie achevèrent de tourner en déroute ; ils furent poursuivis pendant deux lieues dans la direction de Misserguine.

Tel était l’ascendant de Mahi-ed-Dine sur les Arabes que ce nouvel échec ne lui fit rien perdre de son autorité ; mais alléguant son âge, dans une réunion des grands auprès de Mascara, il leur présenta et leur fit accepter pour les diriger à sa place son fils Abd-el-Kader. Le 25 novembre, le jeune sultan, car on lui donna ce titre par acclamation, prit possession du pouvoir. Des lettres expédiées dans toutes les tribus annoncèrent partout qu’il allait parcourir le beylik pour rétablir l’ordre, punir les injustices des forts envers les faibles, percevoir les impôts et organiser une armée capable d’exterminer les chrétiens. On n’avait jamais entendu pareil langage ; les Arabes, qui sentaient le besoin d’être gouvernés, y applaudirent. A Oran, on n’y prit pas garde. Le général Boyer était convaincu que jamais les tribus ne pourraient être assez longtemps d’accord ; il apprenait d’ailleurs qu’en face d’Abd-el-Kader, qui se laissait proclamer sultan, le kaïd Ibrahim, à Mostaganem, se faisait nommer bey et qu’à Tlemcen, Ben-Nouna, partisan déclaré du sultan de Maroc, le seul sultan qu’il pût reconnaître, avait pris le titre de pacha. Cependant Abd-el-Kader organisait à Mascara son gouvernement ; il nommait des khalifas, des aghas, des kaïds ; il recevait les hommages et les présens que lui apportaient les députations des tribus ; les arrêts qu’il rendait, souvent sévères et rigoureux, jamais injustes, étaient exécutés sans retard ; il était admiré, respecté, obéi : il était le maître.

Tandis que s’élevait à Mascara ce nouveau pouvoir, le commandement d’Oran, comme celui d’Alger, allait passer en d’autres mains. Cédant aux griefs et aux instances du duc de Rovigo, le maréchal Soult s’était décidé à rappeler en France le général Boyer ; une décision royale du 28 février 1833 lui donnait pour successeur le maréchal-de-camp Desmichels. A quelques jours de là, le 4 mars, le duc de Rovigo quittait Alger, où il comptait bien revenir et qu’il ne devait plus revoir.


CAMILLE ROUSSET.