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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/885

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salaires une retenue supérieure à 3 pour 100, et d’importantes compagnies retiennent moins de 3 pour 100 : par exemple Carmaux, Ahun, Brassac, Courrières, Billy-Montigny, Terrenoire. Peut-on soutenir que la mesure proposée ne sera pas très préjudiciable aux ouvriers, lorsqu’ils verront réduire leur salaire de 5, de 3 ou même de 2 pour 100 ? Les sociétés qui ont fait jusqu’à présent à leurs frais le double service des secours et des retraites conserveraient apparemment le droit, au moment où les caisses actuelles et leurs accessoires seraient remplacés par des « institutions d’état, » d’en faire opérer la liquidation, c’est-à-dire de ressaisir tout ce que les ouvriers ne pourraient pas réclamer en vertu d’un droit acquis. A-t-on calculé tout ce qu’y perdraient les mineurs ? En Saxe et en Prusse, sous le régime de la coercition légale, les versemens des concessionnaires ne montent qu’à 53 francs par tête d’ouvrier. Chez nous, en 1882, la contribution mise à la charge de la société des mines de Liévin a été, par tête, de 163 francs ; celle de Bessèges, de 118 francs ; celle d’Auiche, de 114 francs ; celle de Blauzy, de 90 francs ; celle de Firminy, de 86 fr. 50 ; celle de la société d’Epinac, qui n’a pas distribué de dividendes pendant plusieurs années, de 86 francs ; dans cette dernière compagnie, pendant que l’actionnaire ne touchait pas un centime, l’ouvrier recevait un don annuel de 80 francs[1]. Un membre de la commission législative a reconnu, dans l’enquête ouverte par la chambre des députés, qu’Anzin distribue actuellement, en sus des salaires, 1Ù7 francs par ouvrier et par an. Peut-on faire abstraction de ces chiffres ? Si quelques ouvriers se plaignent d’un abus local, est-ce une raison pour tout changer ? Au lendemain de ce grand changement, nous croyons pouvoir l’affirmer, la situation générale des mineurs français aura empiré.

Quelques publicistes, il est vrai, s’attachent moins au résultat matériel qu’à la portée morale d’une telle réforme. Ce régime d’assistance privée, dans lequel les exploitans jouent un rôle de bienfaiteurs, leur parait odieux. Les mineurs sont humiliés par de tels secours et « se révoltent contre la sujétion morale que supposent de pareilles conditions d’existence. » Si le bienfait leur pèse à ce point, dira-t-on peut-être, qu’ils y renoncent ! En aucune façon ; et la conclusion est bien différente. Les exploitans donneront demain, sous l’empire d’une contrainte légale, ce qu’ils donnaient librement hier. D’abord, ayant les mains liées, ils ne pourront plus se targuer de leur munificence pour diriger ou surveiller l’emploi de leurs fonds : ensuite, puisqu’ils donneront même à leur corps défendant, ils

  1. Voir l’Industrie des mines devant le parlement, par M. H. Couriot, p. 26 à 28.