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nom d’un comté ; ils portaient fréquemment le nom d’une ville, ou simplement leur nom de famille[1] : la différence n’est pas sans signification. Le gros de leurs domaines était ordinairement situé dans la région d’où ils tiraient leur titre, mais il y a de très bonne heure des exemples du contraire[2] ; dans cette région, d’ailleurs, ils n’exerçaient a aucun degré les pouvoirs de gouvernement[3]. Il n’y a guère d’exception[4] que pour les comtes palatins de Chester et de Durham, qui, chargés de la défense du nouvel établissement politique contre les Gallois et contre les Écossais, possédaient sur le territoire de leurs comtés les droits régaliens les plus étendus. Quant aux autres, leur titre était seulement une marque d’honneur et une occasion de profit. Ordinairement, ils portaient l’épée du comté et avaient droit au tiers des revenus judiciaires perçus par le shérif ou vicomte ; c’était le plus clair de leurs rapports avec une circonscription administrative déterminée. Encore cet avantage n’était-il pas accordé à tous ni même toujours héréditaire[5]. En somme, les grands vassaux anglais ressemblaient à des seigneurs fonciers, non à des barons territoriaux. Ils étaient souvent de fort puissans personnages ; ils n’étaient à aucun degré des souverains. La base de la souveraineté, le petit état d’un seul tenant, leur manquait ; le titre de la souveraineté ; une délégation originaire, réelle ou fictive, des principaux attributs de l’autorité royale, leur manquait également. Le simple fait qu’il ait été possible au roi Étienne de créer des comtes sans terres, pensionnés sur le trésor royal et pourvus d’espèces de sénatoreries pécuniaires, marque l’énorme différence qui existait au commencement du XIIe siècle entre le haut baronnage anglais et nos grands feudataires. Le premier continuait à tenir de très près à ce qu’on a appelé le comitatus, c’est-à-dire le groupe de fidèles que le roi récompensait par des libéralités mobilières et immobilières, viagères ou perpétuelles. Le lien personnel y dominait encore[6] à une époque où la féodalité française se présentait sous la forme entièrement dégagée et développée d’une hiérarchie territoriale composée de dynastes locaux, maîtres et presque rois dans leurs fiefs.

  1. Gneist, I, 171.
  2. Trois siècles plus tard, au XVe siècle, le comte d’Oxford avait la majorité de ses possessions en Essex, le comte de Kent en Yorkshire, le comte de Norfolk en Surrey. (Stubbs, III.)
  3. Stubbs, III, 436.
  4. Les comtés quasi-palatins de Salop et de Kent ne tardèrent pas à être repris par la couronne.
  5. Premier Dialogue de l’échiquier, I, 17.
  6. Comites sibi creat, dit encore le Dialogue de l’échiquier. Ibid.