Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naguère beaucoup de bien du grand homme : « Cela peut être, fit-il ; comment ne pas louer Mahomet devant les femmes, qui sont notre récompense dans son paradis ? » Plus tard, à une Française qui défendait Jésus-Christ, il devait répondre : « Oh ! oui, vous autres femmes, il vous a si bien traitées qu’on lui doit de prendre sa défense ! » On reconnaît le même esprit, appliqué à se moquer des deux religions ; c’est l’expression tragique, ou prétendue tragique, de cet esprit que devaient goûter, dans cet ouvrage, les spectateurs contemporains.

C’est aussi, n’en doutons pas, ce qui peut faire le mérite particulier de cette pièce dans l’opinion de MM. nos édiles : la reprise solennelle qu’on avait annoncée n’était qu’un exercice vraisemblable de leur irréligion pratiquante, lisse seraient réunis pour écouter ces alexandrins comme certains étudians berlinois pour chanter des psaumes athées : « Dieu — n’existe pas ! .. » Cependant, à l’heure qu’il est, en France, le fanatisme catholique ne tracasse personne ; la majorité du public ne s’en soucie guère. Et c’est pourquoi Mahomet ne lui paraîtrait plus que ce qu’il est en effet : une piteuse tragédie. M. Porcl a bien fait de ne pas la jouer avec pompe. Aurait-il mieux fait encore de ne pas la jouer du tout ? C’est une autre question. Mlle Caristie Martel, MM. Paul Mounet, Rebel, Albert Lambert fils, Hattier, Duparc ont-ils pu impunément se fourrer cette méchante poésie dans la tête et ne pas contracter par là une pernicieuse idée du genre tragique ? Même en le supposant, doit-on excuser Mahomet d’occuper cette place par la raison que celle des chefs-d’œuvre est assez grande ? Faut-il, au contraire, s’étonner de le voir sur cette affiche où, dans le cours de l’année dernière, pas une seule tragédie de Corneille n’a paru ; où, cette année, trois seulement, le Cil, Horace et Polyeucte, ont commencé de poindre ; où Phèdre, Andromaque et Bérénice, pour l’année dernière, Andromaque et Athalie, pour celle-ci, figurent toute l’œuvre de Racine ? Pour répondre à ces questions, il faut examiner, avec un loisir que nous aurons bientôt, l’état du répertoire classique à l’Odéon ; il parait s’améliorer ; souhaitons de le trouver parfait.


Louis GANDERAX.