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— on va le voir, — pour ce terme de richesse lui-même, pourtant beaucoup plus satisfaisant que celui d’utilité.

L’exclusion du mot « richesse » en tête de l’économie politique tient au reste à plus d’une cause, et particulièrement, chez plusieurs professeurs de droit, à certaines répugnances morales, qu’il n’est pas hors de propos d’indiquer. Économie politique, richesse, appétits matériels, tout cela est facilement rendu synonyme. Tels jurisconsultes ne sont pas encore exempts de tout préjugé, de tout scrupule sur la légitimité, sur la dignité de la richesse comme objet de science. Ce n’est certes pas à M. Paul Cauwès qu’on apprendra à distinguer cette richesse susceptible de tant de formes honorables et indispensables à la masse humaine, des jouissances du sybaritisme. Il appartenait à notre temps, franchement nous ne savons pas trop pourquoi, de transporter en pareille matière cette délicatesse outrée inconnue aux écrivains, contemporains spiritualistes et chrétiens de Colbert. Un Bossuet, un Fénelon, parlent de la richesse, du commerce, de l’industrie, en termes convenables et parfois magnifiques. Je m’explique pourtant que de tels raffinemens à l’égard de ces intérêts dont tout le monde est bien forcé de s’occuper, y compris ceux qui les dénigrent, trouvent encore accès auprès de métaphysiciens habitués à vivre dans une sphère idéale, ou chez des poètes accoutumés à habiter un monde imaginaire, mais on a plus de peine à les comprendre chez des jurisconsultes qui ne cessent guère de s’appliquer à ces réalités positives. Comment ignorer pourtant que plus d’un jurisconsulte a paru jusqu’ici contester ce qu’on pourrait nommer la noblesse de l’économie politique ? Ils en sont restés aux dédains fondés sur la nature matérielle de l’industrie et sur le caractère intéressé du commerce, dédains dont la philosophie et le droit antiques portent tant de témoignages. Ces préjugés s’atténuent ; mais ils n’ont pas disparu, il s’en faut, et ils semblent faire corps avec les préventions qui accusent l’économie politique de morale relâchée. Ces accusations sont difficiles à admettre pourtant, quand on voit, par exemple, un jurisconsulte comme M. Paul Cauwès reprocher à J.-B. Say d’exagérer l’épargne, l’esprit de privation en vue de la formation du capital. C’est là un bien curieux reproche, avouons-le, et il ne saurait nous déplaire de le mettre en regard de critiques toutes contraires. Nous avons vu tant d’écrivains religieux, de prédicateurs éloquens accuser les économistes les plus en renom de pousser à la consommation à outrance, à l’extension indéfinie des besoins sans souci de la moralité[1] ! M. Cauwès

  1. Ainsi, par exemple, le révérend père Félix dans les conférences de Notre-Dame réunies sous ce titre : l’Économie sociale devant le Christianisme.