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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/172

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en publiant ce livre de la Liberté du travail, qui vient encore d’avoir une édition, signe d’une notoriété durable.

Le titre de cet ouvrage, publié il y a une quarantaine d’années, ne donne qu’une idée imparfaite de son objet. L’auteur y défend sans doute la liberté du travail contre ses adversaires socialistes, protectionnistes, autoritaires de toutes les écoles. Loin d’accorder que cette liberté soit excessive, comme on le prétend, il soutient qu’elle est incomplète. Elle n’a pas à se limiter, mais à poursuivre son œuvre émancipatrice, c’est-à-dire à faire tomber tous les obstacles qui peuvent l’entraver encore. Par ce côté, M. Charles Dunoyer ne fait que continuer les économistes, ses devanciers. C’est par une conception nouvelle des cadres de la science économique qu’il s’en distingue. Ayant vu que Jean-Baptiste Say reconnaît, contre l’opinion de ses prédécesseurs, l’existence de richesses immatérielles, tout en leur refusant nombre de qualités qui les empêchent de figurer en général parmi les richesses dont s’occupe l’économie politique, Charles Dunoyer admet avec lui cette catégorie de richesses ; mais il prétend leur restituer, ainsi qu’à tous les travaux dont elles émanent, les caractères qui les rendent justiciables de l’économie politique, appelée à étendre sa compétence non-seulement aux travaux qui « agissent sur les choses, » mais à ceux qui « agissent sur les hommes. » Voilà comment il fait comparaître devant cette science, élevée à une quasi universalité, l’enseignement, le sacerdoce, le gouvernement, les arts voués à la culture et à l’expression du beau. Tous ces travaux sont, bon gré mal gré, réunis sous le nom commun d’industries. Lorsqu’on relit aujourd’hui cette discussion, remarquable par la vigueur et la subtilité d’esprit, on reste frappé, il est vrai, de certaines analogies, souvent inaperçues, entre les résultats de ces travaux d’ordre intellectuel et de ceux qui s’appliquent à transformer la matière à notre usage ; il est permis de le reconnaître, sans donner pour cela raison à la thèse si excessive d’une assimilation absolue. Ne pourra-t-on dire, par exemple, que les talens, les connaissances utiles, les bonnes habitudes morales forment aussi une espèce de capital accumulable, susceptible de se conserver et de se transmettre, et qui se traduit par des richesses, soit pour ceux qui en usent, soit par les applications qui en sont faites sous différentes formes? Ne pourra-t-on admettre cela sans leur donner droit de cité dans la même science où les travaux industriels trouvent une place qu’on ne leur a jamais contestée ? Pour reconnaître une parité scientifique, il faudrait que les analogies ne fussent pas dominées par d’ineffaçables différences. Ce sont des jurisconsultes, comme Troplong, et aussi des philosophes, comme Victor Cousin,