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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/174

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de même que le grain donné au bœuf est en effet un capital pour l’éleveur, puisque le prix de vente du bœuf doit représenter les avances en nourriture. Dire que le salaire doit rapporter un intérêt à l’entrepreneur comme les machines est une proposition peu soutenable, quoiqu’elle soit énoncée et développée par des économistes fort en renom. Nous ne nous étonnons pas que cette doctrine « des professions-industries » soit rejetée dans les écoles de droit, et nous sommes loin de nous en plaindre, puisque encore une fois il y a des différences si fondamentales. Il y a celle-ci notamment, sur laquelle nous aurions désiré que l’on insistât, à savoir que les richesses dites intellectuelles échappent à toute précision scientifique, n’étant pas susceptibles d’un inventaire quelconque, ni d’une mesure commune, ni, en un mot, d’une évaluation en quoi que ce soit rigoureuse. Un champ, une maison, un quintal de fer s’évaluent et se comparent ; comment évaluer, comment comparer le Discours de la méthode, le Système du monde de Laplace, une sonate de Beethoven? Comment dire ce que rapportent au juste la tempérance, l’esprit d’ordre, etc. ? Comment aussi établir le bilan des pertes causées par les vices contraires ? Tout cela ne pourrait être supputé que par une intelligence quasi-divine, omnisciente ; tout cela se dérobe à la science humaine.

Le tort de quelques-uns de nos professeurs jurisconsultes serait, selon nous, de s’être jetés dans un excès opposé à celui qui confond toutes les recherches. Ils en rejettent tout élément intellectuel. Voici, par exemple, un historien érudit de l’économie politique, M. E. Worms, qui, écrivant à son tour un traité dogmatique, résumé de son cours à la faculté de Rennes, présente des définitions de la richesse et de l’économie politique qui les rendent l’une et l’autre purement matérielles au-delà du nécessaire et du vrai. « Qu’il s’agisse de production, de consommation, de répartition ou de circulation, écrit de même M. Ch. Gide, professeur d’économie politique à la faculté de Montpellier, les lois qu’étudie l’économie politique ne s’appliquent qu’aux objets matériels et nullement aux faits de l’homme. » N’est-ce pas se placer décidément en dehors de réalités qui s’imposent à tout esprit non prévenu? Direz-vous que le travail n’est pas un fait humain et que le travail salarié du manœuvre n’est pas un fait économique? Le travail est l’emploi d’une force qui se loue, et le prix du louage, en dehors de cas de plus en plus exceptionnels où il est réglé par la coutume, est déterminé par la concurrence. C’est ce qu’assurément n’ignore pas M. Gide, qui traite des salaires avec d’intéressans développemens. Ce ne sont pas seulement, au reste, les travaux des maçons, charpentiers, etc., qui offrent cet élément économique, ce sont aussi, sous les réserves très expresses que j’ai faites, ceux de l’artiste, de