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Il fit partir pour Médéa le capitaine Saint-Hypolite, en compagnie de Ben-Durand. L’officier, qui ne savait pas l’arabe, allait avoir pour truchement le juif, l’oukil, l’âme damnée d’Abd-el-Kader ; belle garrantie pour le négociateur ! Car il s’en allait négocier. « Je pars demain, écrivait-il le 3 mai, à Duvivier, je pars pour Médéa, où se trouve Sidi-Hadji Abd-el-Kader au moment où nous le croyions sur le Chélif, à nous attendre. Je vais voir dans quelles dispositions se trouve maintenant notre ami. » Abd-el-Kader n’était plus à Médéa: il venait de rentrer à Miliana. Ce fut là que le capitaine Saint-Hypolite eut son audience ; Miloud-ben-Harach y assistait. L’émir avait commencé par recevoir avec satisfaction les complimens et les présens qui lui étaient offerts de la part du gouverneur; il semblait même prêter l’oreille à des propositions d’accommodement, quand Mahiddine entra tout à coup et le conjura de ne pas accéder aux demandes des chrétiens. Alors changeant de ton et de visage : « Je promets la paix générale et absolue, dit Abd-el-Kader, à condition que vous quitterez Bou-Farik. — C’est impossible, s’écria le Français. — Eh bien ! reprit l’émir, je ne m’en occuperai plus, mais alors qu’on ne me par le plus de Médéa ! Du reste, les traités existent et je veux les maintenir. » II consentit seulement à notifier officiellement au gouverneur la nomination des beys qu’il venait d’investir; sa condescendance n’alla pas plus loin. Celle du comte d’Erlon n’avait plus de limites.

A peine revenu auprès de lui, le 9 mai, le capitaine Saint-Hypolite dut repartir, le lendemain, avec une nouvelle lettre et les mêmes propositions auxquelles Abd-el-Kader avait dédaigné de répondre. L’officier français, à qui, par un raffinement d’insolence, l’émir avait fait donner une escorte de Hadjoutes, le rejoignit sur la route de Mascara, et parut dès lors confondu dans son cortège. Abd-el-Kader s’avançait lentement, salué d’acclamations, rendant la justice, frappant d’amendes les tribus indociles, obéi partout, partout redouté. Quand il entra dans sa capitale, il fit porter devant lui, comme un tribut offert, les présens du gouverneur-général. Deux jours après, satisfait d’avoir traîné publiquement à sa suite, comme un des siens, l’envoyé du comte d’Erlon, il le congédia en lui remettant son ultimatum, qui était ainsi conçu : «1° Le pays dont le prince des fidèles se trouve aujourd’hui en possession restera sous son commandement; le pays que le général possède aujourd’hui restera aussi sous son commandement, de manière que chacun conservera le sien ; 2° quand l’émir jugera bon de nommer un hakem à Miliana ou à Médéa, ou quand il jugera bon de le destituer, il en informera le général. Lorsque le général aura besoin de quelque chose de ces pays, il en écrira au hakem, qui préviendra l’émir; 3° le commerce