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juif Ben-Durand, le kaïd Ibrahim et le lieutenant Allegro. « Je suis peiné d’apprendre votre mouvement offensif, avait écrit, à la date du 27, le gouverneur en réponse au rapport que lui avait adressé, le 23, du camp du Tlélate, le général Trézel; après vous avoir tant recommandé d’éviter tout ce qui pourrait troubler la paix, je ne comprends pas que vous ayez saisi avec tant d’empressement la première occasion pour intervenir à main armée. Les offres de Moustafa et des coulouglis de Tlemcen seront avantageuses, si nous sommes absolument forcés de rompre avec Abd-el-Kader ; mais j’attendrai l’issue des négociations que je charge le chef de bataillon de La Moricière d’entamer en mon nom avec l’émir. Cet officier tâchera d’obtenir de lui le désistement de ses projets sur les tribus des environs d’Oran. Si, contre mon attente, tout moyen de conciliation devenait impossible, je préfère que vous attaquiez promptement l’ennemi et le forciez à entrer en arrangement, plutôt que de rester dans un camp éloigné d’Oran, d’où vos communications seraient bientôt interceptées. »

La fortune, en dérangeant tout, avait rendu la mission de La Moricière inutile : sur-le-champ il s’en donna lui-même une autre. « J’ai vu, écrivait-il à Duvivier quelques jours après, j’ai vu l’état de l’armée ; c’était bien pénible. Le moral était aussi bas que possible. La panique avait été plus forte qu’à la retraite de Médéa, et la perte plus considérable sur un corps d’armée bien moins nombreux. Il n’y avait pas à penser à ramener la troupe autrement que par mer. » Après avoir vu le général Trézel et s’être entretenu quelques instans avec lui, il se rembarqua le soir même pour Mers-el-Kébir. Le 3 juillet, on le vit reparaître, venu d’Oran par terre, accompagné des capitaines Cavaignac et de Montauban, et suivi de deux cents cavaliers Sméla et Douair, qu’il avait décidés à prendre les armes.

« Habile autant que brave et parlant la langue des Arabes, a dit de lui le général Trézel, il avait ainsi obtenu d’eux plus qu’aucun des généraux en chef n’avait pu faire depuis notre arrivée en Afrique. J’ai honte de dire, ajoutait le général, que depuis trois jours je pressais le lieutenant-colonel Beaufort — des chasseurs d’Afrique — de partir avec moi par terre, et que, bien loin de me seconder dans cette résolution d’honneur, il fomentait dans son régiment une inertie et même un esprit de résistance qui m’avait retenu jusqu’alors de donner cet ordre de départ. Je ne voulais pas exposer ce corps à commettre un acte public d’indiscipline que la faiblesse de quelques officiers préparait évidemment. Le 2e régiment de chasseurs d’Afrique est très bien composé en soldats, sous-officiers et sous-lieutenans ; au-dessus de ce grade les braves n’y dominent plus en nombre ni en autorité. En général,