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le système solaire, qui reproduit périodiquement les mêmes figures, est une mémoire, comme le système respiratoire qui reproduit périodiquement les mêmes soulèvemens de la poitrine. La périodicité et l’uniformité vont seulement en croissant à mesure qu’on descend plus bas dans l’échelle des êtres. L’enfant répète toujours le même mot ou le même geste ; de même pour les êtres inorganiques, qui persévèrent dans le même mouvement ou dans la même figure. Le mouvement le plus simple, qui suppose une répétition de soi-même au moins pendant deux instans consécutifs, est déjà une mémoire ; bref, la conservation de la force et, comme conséquence, du mouvement, voilà le fond de l’habitude et aussi de la mémoire, quand on n’en considère que le côté extérieur.


II

Psychologiquement, pour avoir la seconde base et l’intérieur de la mémoire, il faut ajouter au mouvement : 1o la sensation ou le germe de la sensation ; 2o la réaction motrice qui en est inséparable. Dans le problème de la survivance des idées, nous sommes plus « mécaniste » que les partisans du mécanisme les mieux convaincus ; mais nous ne sommes pas exclusivement mécaniste, et nous ne saurions faire si bon marché de ce que les philosophes contemporains nomment « l’aspect mental. » Où il n’y aurait, comme dans nos machines artificielles, qu’une transmission de mouvement tout extérieure, il n’y aurait de la mémoire que le symbole et la forme. Quand nous passons au point de vue psychologique, nous ne pouvons plus dire avec M. Maudsley que le visage défiguré par la variole se souvienne du virus, avec M. Luys, que la gravure, devenue phosphorescente par l’exposition au soleil, se souvienne des rayons solaires ; nous ne saurions davantage admettre avec M. Richet qu’une corde pincée qui continue de vibrer à la manière de nos nerfs « se souvienne de l’excitation. » Non-seulement il n’y a pas alors « mémoire consciente, » mais il n’y a aucune mémoire mentale, si, par hypothèse, il n’y a dans la feuille de papier ou dans la corde de violon rien de mental. L’être qui ne sent pas peut sans doute conserver tantôt des mouvemens, comme l’eau qui ondule, tantôt des empreintes ou « résidus », comme le sable du rivage : mais ce mode de conservation tout extérieur n’est pas cette conservation indivisiblement mécanique et mentale sans laquelle on ne peut parler de souvenir proprement dit. « La mer frémit encore du sillage des vaisseaux de Pompée ; » oui, sans doute, mais la mer ne se souvient ni des vaisseaux qui l’ont fait frémir, ni de