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elles échappent à la conscience, et nous comprendrons que certaines idées puissent surgir dans le temps en vertu d’un arrangement qui a eu lieu dans l’espace, entre des cellules que notre esprit ignore. C’est la sélection inconsciente. Ainsi, pendant le sommeil, s’organise dans le cerveau de l’enfant la leçon étudiée la veille. La loi de contiguïté est alors presque seule en action. Tant que cette loi prédomine, les choses ne s’associent que selon des réactions mécaniques ; mais, dès que la conscience s’éveille, une nouvelle force d’organisation se manifeste. Le cerveau ne connaissait guère que la contiguïté, dont la similarité est une conséquence ; l’intelligence ne connaît guère que la similitude, dont la contiguïté est pour elle une simple espèce et une ébauche. Des ressemblances les plus extérieures et les plus superficielles, comme celles qui tiennent à de simples coïncidences de temps ou de lieu, la pensée dégage peu à peu des ressemblances plus intimes et plus profondes : la conscience est donc une force organisatrice qui réagit sur les représentations et les ordonne selon une règle d’harmonie, comme un instrument façonné par un grand maître qui rejetterait de soi-même les discordances pour n’admettre que les accords.

En agissant ainsi, la conscience obéit à la loi universelle d’économie, qui veut que toute force s’exerce avec la moindre dépense possible : le rapprochement des semblables, en effet, permet à la conscience d’embrasser d’un même regard une foule d’objets et de produire le plus grand travail avec le moindre effort. Cette loi, à son tour, se rattache à la loi de conservation, qui joue le principal rôle dans la sélection des idées comme dans celle des espèces. Nous avons dit que les idées sont des espèces et que la lutte des idées est une lutte d’espèces ; en voilà une preuve nouvelle : l’humanité porte dans sa tête les embranchemens, les ordres, les classes, les familles, les genres, des Cuvier, des Geoffroy Saint-Hilaire et des Jussieu. Nous avons dans notre cerveau le raccourci du règne minéral, du règne végétal, du règne animal ; chaque idée individuelle n’est qu’un membre d’un groupe plus vaste dans lequel elle rentre : la concurrence des idées aboutit au triomphe de celles qui réalisent le mieux les conditions vitales de leur espèce par l’élimination de tous les accidens défavorables et par la sélection de tous les accidens favorables. Dans la tête de Franklin, le paratonnerre était préparé d’avance, et l’accident apparent, mais en réalité nécessaire, qui y fit se joindre les idées d’étincelle électrique et de foudre, introduisit dans le monde des idées une espèce nouvelle et viable.

Pour reconstruire un monde nouveau selon ses besoins, l’esprit est obligé préalablement, comme l’ont montré MM. Martineau et