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si puissans que semblent de pareils instrumens, ils ne suffisent point à changer l’homme et la société. Ce n’est pas assez d’édicter des lois pour modifier les mœurs. Une des erreurs du libéralisme et des modernes en général, c’est leur trop grande confiance dans l’efficacité de la loi, dans la législation écrite, dont ils ont mainte fois abusé, y croyant posséder le remède à tous les maux de l’humanité, à l’ignorance et au vice notamment. Quand le principe nouveau serait entré dans la loi et dans les habitudes des gouvernans, ce qui est plus malaisé que de l’insérer dans les constitutions ; quand il serait déjà incontesté et accepté de tous, quand il eût toujours été appliqué avec bonne foi et persévérance, ce que les passions et les intérêts ne sauraient guère permettre, cette première difficulté expliquerait bien des désappointemens ; mais elle n’est ni la seule, ni peut-être la principale.

Il en est une autre plus grave que nous allons retrouver dans toutes les branches de la politique, c’est l’avènement de la démocratie, avènement qui sera le trait le plus saillant de l’histoire du XIXe siècle et auquel le libéralisme a lui-même largement contribué. La démocratie était la seule souveraine dont le libéralisme pût préparer le règne. Il ne s’est pas toujours aperçu qu’il travaillait pour elle. Après lui avoir frayé les voies du trône, il s’en est parfois repenti, il a refusé de la reconnaître, il a essayé de lui disputer l’empire sans autre succès que de se rendre suspect. Quelque défiance qu’elle lui inspire, la démocratie est sortie du sein du libéralisme, c’est le fruit de ses entrailles, et il n’en pouvait naître autre chose. Il aurait beau la renier, c’est l’enfant de sa chair et de son sang, mais un enfant qui, tout en gardant l’empreinte de ses traits, ne lui ressemble guère. Fille indisciplinée, passionnée, remuante, impatiente de toute règle, présomptueuse et arrogante, elle est loin d’écouter docilement les froides leçons de son père ; elle ne se fait pas scrupule d’être rebelle à ses maximes ; elle est portée, en grandissant, à ne voir en lui qu’un mentor gênant. Le libéralisme a découvert peu à peu que, tout en se réclamant à l’occasion du nom de liberté, la démocratie était d’instinct autoritaire, et que, ne pouvant toujours mettre son tempérament d’accord avec le principe de liberté, elle préférait plier ce dernier à son tempérament. Une fois émancipée et investie de la souveraineté, la démocratie s’est presque partout montrée prompte à faire bon marché des solutions libérales, chaque fois qu’elle en croyait apercevoir de plus conformes à ses appétits ou à ses ambitions. Rien de plus simple. Les intérêts ou les penchans, qui avaient d’abord espéré tout gagner à la ruine du principe d’autorité, se sont plus ou moins insurgés contre le principe de liberté, dès qu’ils ne se sont plus flattés d’y trouver leur profit.

Ce n’est pas qu’en grandissant la démocratie ait repoussé les principes