les assemblées électives ont étendu la main sur tous les rouages du gouvernement. Là même où l’autorité royale semble offrir un contrepoids aux assemblées délibérantes, la couronne, dans son impartialité théorique, est le plus souvent contrainte de s’effacer pour laisser le champ libre aux majorités. En tout pays parvenu à l’apogée du régime représentatif, le parlement, la chambre des députés notamment, tend à s’ériger en convention omnipotente réglant souverainement toutes les affaires de l’état. À cette absorption parlementaire, que l’incompétence technique des chambres rend doublement nuisible, il n’y a guère d’obstacle que là où le chef de l’état est l’élu direct du peuple, et alors l’unification du pouvoir risque de se faire au profit de l’exécutif ; au lieu d’une convention, on est menacé d’un César.
Cette concentration des pouvoirs aux mains d’une assemblée ou d’un homme, à laquelle aboutit involontairement-le régime représentatif, l’avènement de la démocratie vient la rendre plus facile et plus redoutable. Moins étroit est le cercle des franchises électorales, moins restreint le nombre des citoyens admis à choisir les délégués du peuple, et plus les représentans de la nation, s’autorisant de leur origine, tendent à se confondre avec elle, à s’approprier sa souveraineté, à tout se croire permis au nom de ce peuple, qu’ils prétendent incarner. Erigeant à leur profit les volontés supposées de la nation en loi absolue et en vérité infaillible, ils ne tolèrent aucune résistance aux caprices passagers de majorités omnipotentes. Sous l’aveugle impulsion de la démagogie radicale, on peut voir ainsi le régime représentatif dégénérer pratiquement en absolutisme impersonnel d’autant plus impérieux qu’il s’exerce au nom de la nation entière, d’autant plus dangereux et difficile à secouer qu’il conserve les formes extérieures des institutions libres et que, sous ce déguisement, il peut faire illusion aux yeux grossiers, se couvrir devant le peuple du masque du bien public et des intérêts mêmes de la liberté. « Quand une fois, dit Bossuet, on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l’appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu’elle en entende seulement le nom. » Trop souvent, en effet, l’apparence lui en suffit. Elle se vante de la posséder quand elle n’en garde que l’ombre. Elle ne la comprend même pas toujours. Elle identifie la liberté avec le pouvoir, et s’imaginant être libre dès qu’elle peut tout, elle traite en ennemis de la liberté les hommes assez osés pour braver sa puissance.
Contre ce despotisme du nouveau souverain collectif, contre cette menaçante absorption des pouvoirs publics, les pays les mieux prémunis sont naturellement les états à constitution fédérative ou à forte vie locale. Ceux-là puisent dans les institutions ou dans les