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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/455

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d’autant plus grave qu’elle est pour ainsi dire portée par le temps et sanctionnée par les faits ? On pourrait le croire si le libéralisme avait été seul à passer par les déboires et les échecs ; mais M. Guizot le remarquait il y a déjà un quart de siècle[1], si le libéralisme a eu ses mécomptes, l’absolutisme et les doctrines autoritaires ont eu les leurs, et plus fréquens et plus graves encore, non-seulement en France, mais en Italie, mais en Espagne, mais en Autriche-Hongrie, mais en Russie, d’un bout à l’autre de l’Europe. C’est pourquoi les adversaires du libéralisme nous semblent mal venus à s’armer contre lui de ses déceptions ; il serait trop facile de leur répondre par leurs propres déconvenues. Tout au plus pourrait-on conclure de ces expériences alternatives et de ces mécomptes mutuels que l’événement a démontré, aux conservateurs comme aux libéraux, la vanité de leurs prétentions extrêmes, qu’aucune école ne possède de recette infaillible, que ni la liberté ni l’autorité n’ont de formule pour résoudre tous les problèmes de la société moderne.

La vérité, pour en revenir à notre point de départ, c’est qu’en politique il n’y a pas d’ordinaire de solution définitive ; c’est que les doctrines absolues ne peuvent s’appliquer dans toute leur intégrité au monde mobile des faits. La vérité, c’est que, pour opérer un changement durable dans les mœurs et dans l’esprit public, il faut plus de temps, plus d’efforts, plus de luttes que ne l’imaginaient nos pères ; c’est que la fondation d’un gouvernement libre est une œuvre singulièrement plus longue et plus compliquée qu’ils ne l’avaient rêvé. La vérité enfin, c’est que le libéralisme, non moins que l’ancien dogmatisme autoritaire, a eu lui aussi des prétentions démesurées ; c’est qu’il a eu trop de foi dans les formes et les formules, qu’il a montré trop de dédain pour les droits historiques et les institutions traditionnelles, qu’il a trop cru à la facilité d’édifier un gouvernement sur des notions abstraites, oubliant la fragilité des constructions élevées sur de pareilles bases ; c’est, en un mot, ainsi que nous le disions en commençant, qu’il a trop présumé de l’homme et de la raison et peut-être aussi de la liberté, qui en somme n’est qu’un moyen et non un but, car, si elle favorise le développement intellectuel et matériel des sociétés, elle ne saurait suppléer aux doctrines morales, les seules dont une civilisation se nourrisse et vive.

La faute ou mieux l’erreur du libéralisme, c’est en résumé, de s’être montré trop spéculatif, trop dogmatique, trop optimiste.

  1. L’Église et la Société chrétiennes en 1861.