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Dire que, dans une assemblée quelconque, fût-ce un conseil municipal, il peut se trouver des hommes qui livreraient la France à la risée du monde, si l’étranger lui-même pouvait prendre au sérieux ces imaginations grotesques, si on ne savait pas qu’il y a une autre France que celle de l’Hôtel de Ville de Paris!

Il faut revenir aux choses sérieuses, et au premier rang des affaires sérieuses qui intéressent le monde est certainement ce différend anglo-russe, qui depuis quelques semaines a mis à une si dangereuse épreuve les relations de deux grands empires et peut-être aussi la paix universelle. Un moment la question a paru si aggravée, si envenimée qu’on a pu se croire à la veille d’une rupture définitive, d’une guerre dont on ne prévoyait ni les proportions ni les conséquences. L’incident même qui avait été le prétexte ou l’occasion du différend, ce combat de Penjdeh livré par les Russes aux Afghans, disparaissait presque; ce qu’il y avait de redoutable, c’était l’excitation qui régnait dans les deux pays, cette sorte de passion aveugle qui semblait mettre fatalement aux prises deux grandes nations, et le langage irrité, menaçant tenu par le chef du cabinet anglais, par M. Gladstone, dans la chambre des communes, n’avait pas peu contribué à laisser croire à un choc presque inévitable. De toutes parts on se préparait, on se mettait sous les armes comme s’il n’y avait qu’un dernier mot à dire pour ouvrir la guerre. Aux colères bruyantes de l’Angleterre la Russie opposait une attitude froide et résolue. Les négociations devenaient évidemment difficiles entre deux gouvernemens engagés par toutes leurs susceptibilités militaires, par leur orgueil comme par leurs intérêts. Tout semblait se disposer pour un conflit qu’un incident imprévu pouvait précipiter, lorsque, fort heureusement, par une volte-face subite, par un dernier mouvement de sagesse et de conciliation, tout s’est apaisé! On s’est expliqué de plus près sans doute ; on est revenu à des procédés moins violens, moins acerbes de diplomatie, et cette redoutable affaire est rentrée dans une voie au bout de laquelle il y a, sinon la paix assurée et définitive, du moins quelque arrangement possible, un antagonisme momentanément atténué, une guerre terrible ajournée.

Que s’est-il donc passé? Comment s’expliquer cet heureux et soudain apaisement? La Russie n’a certainement rien fait pour envenimer la querelle, pour précipiter un conflit auquel, à vrai dire, elle semble depuis longtemps toute préparée; elle est restée silencieuse et réservée, prête à accueillir toutes les propositions acceptables jusqu’au dernier moment. Les Anglais, de leur côté, après avoir exhalé leurs colères et leurs ressentimens, n’ont pas tardé probablement à réfléchir. L’Angleterre a certes le sentiment énergique des intérêts qu’elle a toujours à défendre en Asie pour la sauvegarde de son empire des Indes, et, en grande puissance qu’elle est, elle n’entend pas livrer ces intérêts ; mais, ce qui est très possible, ce qui est même vraisemblable