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comprend pas plus l’être universel sans les individus que les individus sans l’être universel. En effet, sans les individus qui le réalisent, l’être universel n’est qu’une abstraction : sans l’universel’ qui les contient, les produit et les conserve, il est impossible d’expliquer l’existence propre des individus. Donc, loin de s’exclure, l’individuel et l’universel s’impliquent réciproquement… Dieu est pour la raison l’être en soi, l’être nécessaire dont les individus ne sont que les manifestations. Non-seulement les individus demeurent en lui, mais ils y subsistent et ils y vivent. Il est tout aussi impossible de concevoir Dieu sans le monde que le monde sans Dieu. On ne conçoit pas la création comme l’œuvre libre d’un démiurge organisant une matière première, mais comme l’acte nécessaire, immanent, éternel, d’une cause infinie. »

A dire la vérité, ces propositions ne firent du bruit alors, et ne furent saluées par les jeunes libéraux, qu’à titre de notes d’indépendance et de réveil libéral ; car, en elles-mêmes, il était difficile de leur attribuer une véritable originalité. Elles n’étaient qu’un retour à la première philosophie de Victor Cousin, et étaient empruntées non-seulement pour le fond, mais même en partie textuellement à ses livres, à ses cours, à ses préfaces. C’est lui qui avait dit : « Sans fini pas d’infini et réciproquement. » — « Si Dieu n’est pas tout, il n’est rien. » — « La substance doit être unique pour être substance. » — « Un Dieu sans monde est aussi incompréhensible qu’un monde sans Dieu. » — « La création n’est pas seulement possible ; elle est nécessaire. » La doctrine de l’unité de substance avait donc été la doctrine constante de Victor Cousin depuis 1818 jusqu’en 1833 ; depuis, il l’avait laissée dormir, plus tard il l’avait rétractée. Le mérite de M. Vacherot (je ne parle pas du fond des choses, mais du développement historique des idées) fut d’évoquer cette doctrine, de réveiller les esprits qui en perdaient de vue la gravité et la portée, qui, préoccupés outre mesure de la personnalité divine, oubliaient quelque peu la notion d’infini et d’universel, qui n’est pas moins constitutive de l’idée de Dieu, et qui réclame aussitôt qu’elle est ou parait trop sacrifiée ou trop méconnue.

Cependant M. Vacherot apportait quelque chose de nouveau à la doctrine de l’unité de substance ; il y regardait de plus près que n’avait fait Victor Cousin. Celui-ci, en effet, s’appuyait à la fois, dans son panthéisme, sur l’école d’Alexandrie et sur la philosophie allemande, sur Plotin et sur Schelling. Mais les philosophes allemands entendent-ils l’unité de substance de la même manière que les alexandrins ? Il est permis d’en douter. La philosophie de Plotin est une philosophie mystique, quasi religieuse, dans laquelle la vie, le monde, la réalité sont sacrifiés à l’âme, à l’être, à l’un absolu. Le monde est une chute, une dégradation de Dieu. La philosophie de