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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/595

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Jeanne d’Arc a tenu sa promesse : le siège d’Orléans est levé, et le dauphin, ivre de joie et de reconnaissance, l’en remercie en un discours dont l’emphase seule suffirait pour nous indiquer la période de prime jeunesse où furent écrits ces vers : « Créature des dieux, fille d’Astrée, comment honorer ton mérite ? Ta parole ressemble à ces jardins d’Adonis qui fleurissent aujourd’hui, et, demain, donnent des fruits. O France, glorifie-toi en ta prophétesse, Orléans est reconquis ! Jamais plus grand service n’échut à ce pays, et celle qui nous l’a rendu, c’est Jeanne ; nous n’y sommes pour rien. Qu’elle partage avec moi la couronne et que tous les prêtres et moines du royaume aillent en procession, chantant ses louanges. Je lui veux élever une pyramide plus haute que celle de Memphis ou de Rhodope et j’entends, qu’après sa mort, ses cendres recueillies dans une urne plus précieuse que la cassette de Darius, soient vénérées aux jours de grande fête par les rois et les reines de France. Que saint Denis cesse d’être invoqué, notre patronne est désormais Jeanne la Pucelle. Venez tous, et qu’un royal banquet couronne ce jour doré par la victoire ! » Je donne ce morceau, parce qu’il a, selon moi, double intérêt et comme échantillon du style shakspearien en ses débuts et comme document pour servir à la philosophie de l’histoire. Rapproché du tableau de la fin, cet air de bravoure vous met la mort dans l’âme ; on songe à ces précieuses cendres qu’une urne de diamant doit recueillir et qui seront un jour dispersées aux quatre vents du ciel : promesses du dauphin que le roi de France oubliera sans un remords, sans une larme de pitié, sans même regarder le temps qu’il fait, comme tel de ses successeurs, exactement modelé à sa ressemblance et qui du moins regrettait, lui, que sa pauvre marquise eût de la pluie pour son dernier voyage. Shakspeare commence par idéaliser à l’excès le personnage, quitte à le ramener ensuite plus bas que terre. La Pucelle, à son entrée, est à l’unisson du lyrisme ambiant ; le hâle de la fille des champs a disparu de son visage, qu’une blancheur céleste illumine. C’est aussi le caractère de l’héroïne de Schiller de se présenter à nous dès le prologue sous les traits d’une prédestinée : « Souvent il m’arrive de la contempler du fond de la vallée et de m’étonner à la voir, au milieu de son troupeau, grande et sérieuse, abaisser son regard vers le sol. Je crois alors saisir en elle quelque chose de surhumain et comme venant d’un autre temps. » Ainsi parle déjà son fiancé, et cette impression est celle que l’apparition de Jeanne provoque dans l’armée et chez le roi. Il semble qu’un rayon d’en haut l’enveloppe ; Danois, Lahire sont émus, attirés par cette fille des anges dont le front rayonne d’une auréole plus brillante que toutes les couronnes de ce monde, et c’est à qui des deux obtiendra sa main d’un roi si