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celle de l’ossianisme va commencer. Nous touchons à ce moment crépusculaire qui sépare le vieux passé classique du présent qui demande à naître ; art facile à ridiculiser, mais dont il faut tenir compte ; art des Soumet, des Guiraud, des Delphine Gay et, pourquoi ne pas le dire ? aussi des Chateaubriand dans le Génie du christianisme. Un goût retardataire de la périphrase et de l’emphase en même temps qu’un faux lyrisme qui mettra dix ans à s’amender. Les poètes que je viens de nommer ont eu ce tort d’être tout ensemble des épigones et des précurseurs. Épigones, quand nous les comparons aux grands classiques, ils nous semblent n’en être que la caricature ; novateurs, ils se noient et disparaissent dans l’apothéose, dans la double apothéose de Lamartine et de Victor Hugo. Tel sera le sort d’une foule de talens plus ou moins tapageurs que l’heure présente voit naître et qui baguenaudent entre hier et demain. Revenons à Madame Isabeau. Trémoald, — puisque Trémoald il y a, — reçoit l’ordre d’évoquer le jeune et beau Noémé, lancé à la poursuite de Jeanne d’Arc et dont la reine s’inquiète de n’avoir pas de nouvelles. Mais le nécromant, mal inspiré, se trompe de fantôme : au lieu de Noémé qu’on demande, apparaît Charles VI, que naturellement on renvoie à tous les diables :


Fuis, spectre, et, pour jamais sous le marbre enfermé,
Emporte Charles VI et rends-moi Noémé.


A quoi l’ombre du monarque répond en montrant à la reine son jeune Arabe aux pieds de la Pucelle :


Reine, ton Noémé, noble enfant de la lyre,
Expie en l’abhorrant un instant de délire.
Il aime Jeanne d’Arc……


Dryden prétendait que le Polyeucte de Corneille lui faisait l’effet d’une musique d’orgue ; que dirait-il de cette psalmodie, dernier soupir de l’épopée de Chapelain ? Les vers sont romantiques ou du moins voudraient l’être, et le moule reste classique. Jeanne d’Arc est une Iphigénie, Isabeau de Bavière une Clytemnestre, Agnès Sorel une Ériphyle. Quand le nom d’un personnage sonne mal, comme celui de l’évêque Cauchon par exemple, on l’appelle : Hermengard pour ménager les amateurs du style noble et des pendules du temps de la restauration. Au baptême du Sarrasin Noémé, le casque de Jeanne d’Arc sert de bénitier. — N’importe, à certains frémissemens d’ailes, vous sentez venir le renouveau ; la rime est plus soignée, presque savante, le vers a des audaces de coupe et