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représentés dans le genre humain sous une forme corporelle. Elle ne s’adresse pas à la raison, à l’âme, au cœur, mais à l’imagination. Ç’a été la cause de sa perte ; mais, en même temps, c’est par là qu’elle a pu dominer longtemps sur des esprits ardens et peu cultivés. Les bogomiles reconnaissaient, comme Manès, l’existence primordiale du principe du bien, divisé plus tard en deux principes, celui du bien et celui du mal. Dieu avait deux fils : Satan et Jésus. Le premier était le maître de l’empire céleste et Dieu lui avait donné la vertu créatrice ; mais l’orgueil le rendit coupable ; il corrompit plusieurs esprits célestes et se révolta contre son père. Chassé du ciel, Satan se forma un monde de fer, le nôtre ; il créa un homme, Adam, auquel il voulut souiller son mauvais esprit ; mais le mauvais esprit n’entra pas dans Adam, il entra dans le serpent. C’est donc de Dieu, et non de Satan, que nous vient l’âme qui réside en nous. La naissance d’Ève fut la même que celle d’Adam ; avec elle Satan créa Caïn. Le monde fut d’abord livré au mal, jusqu’à ce que Dieu envoyât sur terre son second fils Jésus. Satan y envoya à son tour Jean-Baptiste, voulant empêcher par le baptême de l’eau, le baptême de Jésus qui se faisait à l’aide de l’imposition des mains. Jésus vainquit Satan ; mais les hommes ont encore à se préserver de sa vengeance. Ce Satan des bogomiles est identique à Cerni-Boy (dieu noir) des anciens Slaves, qu’ils adoraient avec terreur. Du Vieux-Testament ces hérétiques n’acceptaient que les Prophètes et le livre des Psaumes. Pour eux, le péché était l’œuvre du mauvais esprit, et parmi les péchés ils comptaient : la possession de la fortune ; l’usage de la nourriture animale (les poissons exceptés), parce qu’ils regardaient les animaux nés de la chair comme plus impure que les plantes ; le mensonge, sauf contre les infidèles ; la guerre et le meurtre, quels qu’ils fussent ; enfin, la satisfaction de l’instinct sexuel. On ne pouvait être absous du péché que par la répudiation des biens terrestres et la soumission absolue à la religion pure. Dans le sein de l’église, les parfaits, perfecti electi, étaient prêtres ; les fidèles, credentes, vjernike, étaient laïques. Les parfaits se regardaient comme successeurs des apôtres, et il fallait qu’ils observassent sévèrement chaque règle de la loi ; ils consacraient et purifiaient par l’imposition des mains. Ils avaient des évêques, les évêques avaient des vicaires ; partout où ils se répandaient, ils établissaient des diocèses et organisaient des communautés de fidèles. Leurs églises étaient distinctes des églises chrétiennes ; ils ne se servaient ni de croix, ni d’images, ni de cloches. Au milieu de leurs églises était placée une table couverte d’une toile blanche, sur laquelle on mettait le Nouveau-Testament. Le culte consistait dans la lecture et le commentaire du livre saint ; les fidèles recevaient la bénédiction à genoux. Le sacrifice se composait de la consécration et de la fraction du pain ;