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ajouté que le Koran recommande aux fidèles de respecter le chef du territoire où ils vivent, et que les maximes admises par le clergé mahométan reconnaissent à un prince, fût-il chrétien, le droit de nommer les principaux dignitaires du culte. L’islam va même plus loin. Il favorise l’établissement d’une église d’état autonome, de la même façon et au même degré que les chrétiens orthodoxes de confession orientale. D’autre part, l’islam, — nous voulons dire l’islam sunnitique, le seul qui soit ici en cause, — a un point de ralliement invariable : le calife est pour lui ce que le pape est pour les catholiques, à savoir le chef suprême de la religion, et son pouvoir est universellement reconnu, tout au moins en principe. Le sultan de Constantinople n’est point, en effet, pour tous les musulmans sunnites, le véritable calife : le sultan du Maroc, par exemple, est aussi un calife aux yeux de ses sujets et de quelques Arabes des pays voisins ; mais ce n’est là qu’une question de personne, ainsi qu’il s’en est parfois produit dans l’église catholique, au temps des antipapes, sans que cela ait eu pour effet de nuire à la doctrine même de l’unité. Il existe d’ailleurs un autre lieu, plus puissant encore que le califat, entre les sectateurs de la religion musulmane ; c’est le pèlerinage à La Mecque, que les musulmans de toutes les sectes considèrent comme obligatoire. Le tombeau du Prophète, non la résidence du calife, est la véritable capitale de l’islamisme. Le califat s’est amoindri d’ailleurs jusqu’à n’être plus que l’ombre de lui-même. La seule marque de respect accordée au calife dans les pays dont il n’est pas le souverain territorial consiste à placer son nom dans les prières. Il n’exerce même pas, dans les contrées étrangères, une prérogative du genre de celle du patriarche œcuménique, qui peut seul fournir l’huile sainte pour la célébration des mystères. Si, dans certaines régions, on lui reconnaît des droits plus considérables, c’est en vertu ou d’une soumission volontaire, ou d’un traité spécial. Ainsi, lorsque la Russie l’a contraint, il y a un siècle, de rendre la liberté aux Tartares de Crimée, le sultan s’est réservé certaines attributions particulières vis-à-vis de ces peuplades. Il a agi de même lorsque la Bosnie et l’Herzégovine sont passées sous l’administration austro-hongroise. Mais en dehors des privilèges qui ont été expressément indiqués par les traités, tous les autres droits de souveraineté ont été transmis d’après le dogme mahométan lui-même, au gouvernement austro-hongrois, par le fait seul qu’il est entré en possession du territoire ; et, par conséquent, la hiérarchie ecclésiastique dépend uniquement de lui, sans que cela puisse nuire en rien aux honneurs religieux dus au sultan-calife. Il serait d’ailleurs difficile que le chef politique du pays ne fût pas également le chef du clergé ; car ce clergé ne se borne pas, comme