peut-être on ne trouverait des hommes et des femmes dans un état de santé aussi florissant que dans la société de Londres. »
Il ne se passe guère de jour sans que les orateurs et les journalistes tories fulminent quelque anathème contre le ministère libéral qui dirige depuis cinq ans les affaires du Royaume-Uni, sans qu’ils l’accablent de leurs épigrammes ou de leurs invectives, en l’accusant d’avoir compromis les intérêts dont il avait la garde et mis en péril l’honneur national. Chaque jour, ils lui demandent compte de ce qui se passe dans la vallée du Nil et dans le Soudan qu’on évacue. Le marquis de Salisbury disait tout récemment à la chambre des lords : « Ceux qui nous gouvernent ont échoué dans toutes leurs entreprises. Ils n’ont réussi ni à construire le railway militaire qui devait relier Berber et Souakim, ni à constituer un gouvernement dans le Soudan, ni à vaincre le mahdi, ni à sauver les garnisons assiégées, ni à préserver la vie de l’héroïque général Gordon. » Il disait aussi que jamais échecs n’avaient été plus chèrement payés, « que le sang avait été versé dans le désert comme de l’eau et avec autant d’insouciance qu’en peut mettre dans ses exécutions le plus vulgaire des assassins. » Ceci n’est plus de la discussion, c’est de la rhétorique injurieuse ; mais le noble et véhément orateur respectait davantage la vraisemblance des faits et des caractères, en ajoutant : « Soit faute de prévoyance, soit faiblesse de résolution, nous n’avons avancé que pour reculer ; nous avons manqué à nos engagemens et laissé la parole de l’Angleterre en souffrance ; nous avons permis qu’à la face de l’Egypte et du monde, lord Wolseley fit des promesses qu’il ne devait pas tenir, des menaces qu’il ne devait pas exécuter, des déclarations hautaines qui n’ont été que des bravades. »
Comme les affaires d’Egypte, celles de l’Afghanistan et de l’Inde fournissent une ample matière aux acrimonieuses récriminations des conservateurs et des impérialistes anglais. Ils ne se mettent pas en peine d’examiner s’il était facile ou même possible de combattre efficacement les entreprises d’un conquérant qui fait servir à ses desseins et les sourdes pratiques et les coups de théâtre, d’arrêter dans leur marche victorieuse des ambitions aussi irrésistibles qu’une force élémentaire qui accomplit ses destinées. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on voit l’aigle moscovite planer sur l’Asie centrale et frémir de bonheur en reconnaissant sa proie. Les Anglais se disent depuis longtemps : « D’étape en étape, de steppe en steppe, la Russie finira par englober dans ses possessions toutes les oasis turcomanes. Le jour où elle aura atteint les confins de l’Afghanistan, lorsqu’un vaste système de voies ferrées et de routes navigables lui permettra de transporter en quelques semaines des troupes à ses postes les plus avancés, il lui sera facile, même sans acheminer un seul régiment sur notre frontière du