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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/696

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que l’on a pour les enfans terribles, qui ne paraissent jamais si spirituels que quand ils manquent de tact. Et si nos grands critiques ne craignaient, en se servant d’une telle formule, de mettre trop au jour le parti-pris que l’on y apporte, ils diraient volontiers que ce que ces vrais artistes ont de foncièrement admirable, c’est de manquer absolument d’art.

C’est qu’aussi bien, si ces méthodes à la mode ont altéré la notion de l’art même, elles ont altéré non moins profondément la notion même des règles protectrices de l’art. On a vu tout à l’heure ce qu’en pensait M. Renan, et c’est la même idée que M. Gaston Paris exprime quand il dit que la poésie du moyen âge « heurte toutes les habitudes dont nous trouvons souvent commode de faire des règles. » Qui ne croirait à ce mot, ou plutôt qui ne croit aujourd’hui, que ces « règles » seraient autant d’inventions arbitraires de la critique ? et que la plupart d’entre elles ne répondraient à rien qu’au caprice ou quelquefois à l’inintelligence de celui qui les a promulguées le premier ? Mais, comme dit Molière, entendues comme elles doivent l’être : « ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes, » et Molière ne se trompe que de croire ces observations toujours si aisées. Les règles d’un genre sont les lois de ce genre, telles qu’on tâche à les induire de la nature et de l’histoire de ce genre. Le sophisme de ceux qui les raillent consiste à les présenter comme autant de recettes pour faire infailliblement des chefs-d’œuvre ; mais aussi c’est un sophisme ; et les règles ne sont rien qui ressemble à l’idée que l’on en donne ainsi. Si la poésie du moyen âge, puisque M. Gaston Paris en convient, heurte toutes les règles, la question est donc de savoir ce que valent ces règles et quel en est le vrai fondement. Mais c’est ce que l’on omet d’examiner, comme si ce mot de u règles » ou de « lois, » lui tout seul, emportait une incontestable défaveur, ou comme si, dans ce désarroi de toutes règles où nous vivons, il ne devait en subsister qu’une, qui serait le dérèglement.

Je ne crois pas exagérer, ni céder au plaisir d’une vaine antithèse. Depuis que l’histoire littéraire est devenue l’une des provinces de l’histoire naturelle, toutes les productions littéraires, ou soi-disant telles, y ont leur place, et font valoir les mêmes titres à l’attention de la critique. Aucun monstre n’est indigne de la curiosité du naturaliste, et, de même, aucune œuvre, quel qu’en soit le caractère d’étrangeté ou de bizarrerie, n’est inutile aux généralisations du savant. Ou plutôt, comme le monstre, ce qui est en dehors des règles a des droits tout particuliers à la sympathie, c’est-à-dire à l’estime de l’historien de la littérature. La difformité, jusqu’ici méconnue, et la laideur, trop méprisée, contiennent pour lui les enseignemens les plus précieux. Et