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démêlé plus nettement que personne, même depuis lui, les diverses influences qui, tour à tour, ont façonné notre langue et notre littérature naissantes. On y remarquera surtout ce qu’il y dit de Tristan et Yseult : « Entre tous les grands poèmes de l’humanité, — et je n’hésite pas à le placer à côté d’eux, — Tristan est le poème de l’amour… Ce que chante le poème celtique, c’est l’amour délivré de tout lien, de toute contrainte, de tout devoir autre que lui-même, l’amour fatal, passionné, illégitime, vainqueur de tout, des obstacles, des dangers et de l’honneur même… Cette inspiration n’a pas cessé de se faire sentir, et l’amour tel qu’il est compris dans les romans de la Table-Ronde est resté depuis lors le sujet favori et presque unique de notre littérature d’imagination. » Si l’on doit surtout prendre plaisir, en critique, à faire honneur aux autres de ce qu’ils nous apprennent, nous nous tenons pour particulièrement obligés à M. Gaston Paris de ce que l’indication enveloppe de conséquences infinies. Le morceau sur l’Ange et l’Ermite nous plaît pour une autre raison. C’est une savante et ingénieuse étude de « littérature européenne, » ou même « extra-européenne, » l’histoire d’une histoire, et des transformations qu’elle a subies en passant d’Orient en Occident, et, en Occident de conteur en conteur, jusqu’à Voltaire et son Zadig. Que de thèmes d’études analogues pourrait offrir la littérature française du moyen âge ! et qu’y aurait-il de plus intéressant que de nous montrer cette matière fluide, en quelque sorte, du poème ou du conte, passant de main en main, et recevant de latitude en latitude, si je puis ainsi dire, l’empreinte nationale du peuple qui l’adopte ? Espérons donc en terminant que M. Gaston Paris entendra ce souhait. « Si ce petit volume rencontre un accueil favorable, nous disait-il dans sa préface, il me sera facile d’en donner prochainement un autre, composé de morceaux analogues et se rattachant de très près au premier. » Cet autre volume, il nous le doit, et nous avons dit les raisons qu’il avait de ne pas nous le faire attendre.


F. BRUNETIERE.