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égalera le succès de l’Ami Fritz, — je demanderai qu’elle soit jouée avec un peu plus d’abandon et de finesse, peut-être avec une pointe d’accent méridional sur les lèvres de tous les personnages, et non plus seulement du marnier ou du berger. Mlle Tessandier représente Rose Mamaï avec une violence trop monotone, avec une tension trop égale des nerfs : il est vrai que, dans les passages de force, dans la scène du conseil de famille notamment, et plus encore dans la dernière, elle émeut prodigieusement toute la salle. De même, quand Frédéri doit crier, M. Albert Lambert fils parait chaleureux et sincère ; dans le reste du rôle, il est d’un romantisme un peu brumeux et grisâtre. M. Paul Mounet a de l’emphase ; il fait pourtant de Balthazar une belle silhouette. Mlle Hadamard, pour figurer Vivette, n’est pas une fleur de haie ; c’est du moins une comédienne instruite et bien disante. M. Cornaglia, sous le nom de Francet Mamaï, emporte le prix de justesse, de convenance et de sensibilité. Mlle Crosnier, qui fait la Renaude, est sa digne camarade ; un peu d’aççent à tous les deux, et je les trouverais parfaits. Une toute jeune fille, Mlle Yahne, est charmante sous la petite blouse de l’Innocent. La troupe de l’Odéon, en somme, aussi bien que son nouveau directeur, M. Porel, méritait d’achever et même de prolonger la saison par cette victoire. L’année odéonienne, d’ordinaire, finit le 31 mai ; cette fois, elle durera jusqu’au 15 juin. Si la grande règle de toutes les règles est de plaire, que dire de l’Arlésienne qui plait quinze jours de plus qu’il n’était permis ? La foule, en cette occasion, s’est montrée plus artiste que certaines gens de l’art. Elle se moque de leur blâme, sans doute elle se passerait de notre assentiment. Pour une fois cependant que nous sommes d’accord avec elle contre une élite, nous sommes bien aises que cet accord tourne à la gloire des auteurs de Sapho et de Carmen.


Louis GANDERAX.