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fruit de la guerre de Crimée. Ce n’était pas un intérêt français qui avait inspiré les clauses les plus importantes du traité de Paris ; c’était pour donner satisfaction aux défiances et aux préoccupations de l’Angleterre qu’on avait neutralisé la Mer-Noire et imposé d’humiliantes restrictions au développement de la marine russe. Lorsque la Russie, mettant à profit la reconnaissance qui lui était due par la Prusse, demanda à être affranchie de stipulations qui l’atteignaient dans son orgueil plus encore que dans ses intérêts, l’Angleterre, ne trouvant d’appui chez aucune des grandes puissances, ne put opposer aucune résistance à cette réclamation, et ce fut à Londres même, sous la présidence d’un ministre anglais, que le traité de Paris fut détruit !

Défenseur impuissant des anciennes traditions, lord Beaconsfield n’était point partisan de la politique d’isolement. Il comprenait surtout quel préjudice portait à l’influence de l’Angleterre l’opinion universellement accréditée que toute sa force résidait dans sa marine. Lorsque la guerre de 1879 mit de nouveau aux prises la Russie et la Turquie et que les intérêts anglais parurent en péril, lord Beaconsfield, par une initiative hardie et inattendue, fit venir à Malte une partie de l’armée anglo-indienne. Il essayait ainsi de prouver à l’Europe que son pays n’était pas uniquement une puissance maritime, qu’il pouvait, au besoin, exercer une action sur le continent. L’impression fut vive ; elle ne pouvait être durable. L’intervention de l’armée anglo-indienne aurait certainement été efficace à raison des circonstances toutes particulières dans lesquelles elle se serait produite : il n’était question que de venir en aide à l’armée turque, qui avait fait ses preuves de valeur, et de défendre Constantinople contre un assiégeant qui n’était pas maître de la mer. Le retour de ces conditions exceptionnelles n’est point à prévoir et ni les troupes que l’Angleterre entretient sur le territoire britannique, ni l’armée anglo-indienne ne constituent des forces suffisantes pour jouer un rôle considérable dans une lutte engagée, sur terre, entre quelques-unes des grandes puissances.

A en juger par les chiffres officiels, le gouvernement anglais pourrait disposer de 653,772 hommes ; mais cette force n’existe que sur le papier. Les volontaires, qui n’ont ni une organisation ni une instruction militaire sérieuses, figurent dans les cadres pour 251,417 hommes ; mais leur effectif réel n’est que de 215,015 hommes. Vient ensuite la milice, dans laquelle on a fondu plusieurs catégories de réservistes, et dont les cadres comportent 141,334 hommes, mais dont l’effectif réel n’est que de 115,192 hommes, soit un déficit d’environ 18 pour 100. La réserve de première classe ne compte que 39,244 hommes sur un